Gabon
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Libre tribune : gouvernance nouvelle et enjeux de la transition au Gabon (Par Éric Topona Mocnga)  

Le Gabon est, depuis le 30 août 2023, le théâtre d’un chamboulement comme on en a rarement connu dans l’histoire politique de l’Afrique contemporaine.

Les Gabonais, comme la communauté internationale, étaient suspendus à la proclamation des résultats des élections générales du 26 août 2023, lorsque, aux aurores, le Centre gabonais des élections (CGE), instance nationale de centralisation des résultats, annonce la victoire nette du président sortant, Ali Bongo Ondimba, avec 293 919 voix, soit 64,27 %, pour être aussitôt interrompu par une irruption de divers corps de l’armée et de la police dans ses locaux.

Les militaires mettent aux arrêts son instance dirigeante et, dans la foulée, annoncent sur les antennes de Gabon 24 (la première chaîne de télévision gabonaise d’information en continu bilingue lancée le 24 mai 2016), située dans l’enceinte même du palais présidentiel, la destitution et la « mise à la retraite » du chef de l’État, la dissolution des institutions et la prise du pouvoir par un Comité pour la Transition et la restauration des institutions, avec à sa tête le général de brigade Brice Clothaire Oligui Nguema, jusqu’alors commandant de la garde républicaine.

Inédit pour ne pas être souligné, l’Afrique n’a pas connu semblable scénario de prise de pouvoir par les militaires depuis le premier du genre en Afrique le 12 septembre 1974 par le colonel Mengistu Haile Mariam contre l’empereur éthiopien Hailé Sélassié.

C’est plutôt du côté de la rue qu’étaient redoutées des confrontations violentes entre les forces de maintien de l’ordre gouvernant et les mouvements de contestation des résultats, comme en 2009 et en 2016.

Ces élections qui ont semblé être apaisées, quelques semaines avant l’ouverture officielle de la campagne électorale, ont vu s’amonceler de gros nuages sombres au fur et à mesure que l’on se rapprochait des échéances du 26 août : la désignation du Pr Albert Ondo Ossa comme candidat consensuel de la plateforme Alternance 23 qui regroupe des leaders d’opposition de poids, l’instauration du bulletin unique en dépit des protestations de l’opposition, la suspension du signal des médias France 24, RFI, TV5MONDE pendant les opérations électorales, la non-accréditation des médias internationaux et des observateurs internationaux, et l’instauration d’un couvre-feu dès la fermeture des bureaux de vote, sans oublier la coupure d’Internet.

Pays nanti

Où va désormais le Gabon ? Cette question est d’autant plus opportune que, depuis son accession à l’indépendance, gravitent autour de ce pays de nombreux enjeux et des intérêts colossaux. Si le pays d’Omar Bongo Ondimba ne pèse plus de son influence d’autrefois dans la résolution des crises, en Afrique comme dans le jeu politique français, le Gabon ne demeure pas moins un pays nanti d’atouts qui en font une destination privilégiée en Afrique. Pays membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le Gabon regorge d’immenses ressources naturelles encore inexploitées, avec un couvert forestier qui représente plus de 85 % de sa superficie, une donnée naturelle parmi d’autres qui en fait un pays phare au sein du bassin du Congo et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC).

Mais, au-delà des indicateurs avantageux, la fracture sociale demeure préoccupante dans ce pays où un habitant sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté. « Aujourd’hui, les temps heureux rêvés par nos ancêtres arrivent enfin chez nous. Il faut donc des changements profonds, issus de notre réflexion commune », a martelé le président de la Transition dans son discours d’investiture, lui qui n’a pas attendu sa prestation de serment pour ouvrir le chantier de la question sociale. Les frustrations et les injustices qu’elle charrie demeurent l’une des causes majeures du divorce entre les élites et le peuple, avec en filigrane le népotisme et la gabegie qui ont prévalu dans le processus de redistribution des immenses richesses nationales.

En plus de l’instruction faite au nouveau gouvernement de rétablir les bourses au secondaire, le général Brice Clotaire Oligui Nguema a annoncé, trois jours plus tôt, lors de sa première rencontre avec les chefs d’entreprises, des concertations prochaines en vue de s’atteler d’urgence au règlement des arriérés de pension des salariés retraités.

Héritage bradé

La justice sociale n’est pas, au demeurant, l’unique terrain sociétal sur lequel devra s’investir le nouveau régime de Transition. En effet, depuis la disparition, en 2008, d’Omar Bongo Ondimba, la scène politique gabonaise s’est progressivement délitée en une arène où tous les coups sont permis. Ses héritiers, pour la plupart, semblent avoir davantage conservé en legs les privilèges ou les positions de pouvoir acquises au sein du parti présidentiel.

Le rassemblement, la tolérance et le dialogue reconnus à Omar Bongo Ondimba ont semblé, depuis son décès, les valeurs les moins partagées au sein de la classe politique gabonaise. Aucune élection présidentielle dans ce pays ne s’est tenue sans heurts depuis 2009, tant et si bien que tout était réuni pour que 2023 rejoue, peut-être en pire, les échéances précédentes, au point de légitimer la prise de pouvoir par l’armée.

Les conditions de la refondation

La refondation du Gabon, notamment l’édification d’une République et d’une conscience citoyenne nouvelles, nécessite comme préalable l’émergence et la consolidation d’un énorme consensus autour d’un contrat social largement partagé. Il ne s’agira pas seulement de bâtir des institutions nouvelles et fortes. Les institutions seront viables et fortes lorsqu’une majorité de Gabonais, de toutes conditions, vivront à l’abri de la peur et du besoin.

Pétrole POG / Gabonactu.com
Pétrole POG / Gabonactu.com

À cet égard, la scénographie de la prestation de serment du nouveau président de la Transition aura été investie d’une charge symbolique suffisamment inédite, en pareille circonstance, pour que l’on s’y appesantisse.

Au-delà de son discours d’investiture, à la fois exhortation, ode au rassemblement et hommage aux patriotes gabonais défunts, il a gratifié d’une poignée de main ou d’une accolade tous les invités présents dans la salle des banquets du palais présidentiel : hommes de médias, acteurs de la société civile, personnalités politiques de l’ancien régime comme de l’opposition. La longue parade militaire et populaire qui s’est ensuivie procédait manifestement de la même volonté du nouveau pouvoir. Mais, outre les symboles et les paroles, les actes des prochains mois seront scrutés parce que décisifs.

Points de crispation

Le retour annoncé des exilés politiques et l’amnistie des prisonniers d’opinion sont d’autant plus attendus qu’ils dépendent de la seule volonté politique du pouvoir de Transition. Il demeure cependant des points de crispation que seules les dynamiques des prochains mois pourraient lever. Si le contentieux électoral né de la présidentielle de 2016 entre l’ex-président de la Commission de l’union africaine, Jean Ping, et l’ex-chef de l’État, Ali Bongo Ondimba, semble avoir connu son épilogue le 30 août 2023, le candidat de la coalition Alternance 23, Albert Ondo Ossa, continue de revendiquer la publication de la vérité des urnes, en dépit de la fin de non-recevoir du pouvoir actuel. Le président de la transition gabonaise, Brice Oligui Nguema, s’est d’ailleurs rendu au domicile du candidat de l’opposition le mardi 5 septembre. Le dénouement heureux de ce point de divergence serait un atout pour la réussite de la dynamique de refondation qui s’amorce.

 La nomination au poste de Premier ministre de Raymond Ndong Sima, ce 7 septembre 2023 pourrait peut-être augurer un signe positif de la refondation tant voulue par les gabonais.

Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle (le service international de diffusion de l’Allemagne) (@ETopona)


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