Guinea
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Politiques culturelles d’hier et d’aujourd’hui, orchestres et ballets guinéens, football d’hier et d’aujourd’hui, voici les analyses avisées d’un féru de la musique et du cuir rond (entretien, 1ère partie)

Elhadj Amadou Thiam est administrateur civil, spécialisé dans la gestion, mélomane chevronné qui a accepté de recevoir cette semaine Guinéenews chez lui pour éclairer la lanterne de nos lecteurs sur des sujets de culture et ceux liés à la problématique du football guinéen.

Né à l’hôpital Balley de Conakry (actuel CHU d’Ignace Deen), El hadj Amadou Thiam est le fils de feu Oumar Karamoko et de feue Hadja Aïssatou Diallo. Il est marié à une femme et père de 5 enfants dont 2 filles.

Sa scolarité a été marquée par une grande mobilité. Il a suivi ses études primaires successivement à Dinguiraye, Mamou, Boké et Conakry. Pour ses études secondaires, il est passé par Boké puis Mamou, et a fréquenté les lycées de Mamou et Dinguiraye. Il a terminé ses études à l’Institut Gamal Abdel Nasser de Conakry, où il a étudié l’Économie et les Finances.

Il effectuera sa formation militaire pratique au Km36 où il portait le matricule 15156G de la 6ème compagnie de la 3ème section, au centre d’instruction d’infanterie de Dubréka.

Après ses études supérieures, El hadj Amadou Thiam sera muté au ministère des Finances, à la division du budget d’équipement. Plus tard, il sera affecté à Boké en qualité de trésorier. Il y travaillera dans l’immobilier avec AFRICOF et dans le transit ainsi que dans les Hydrocarbures.

En tant que fonctionnaire, El Hadj Amadou Thiam a pris sa retraite en décembre 2021, ayant exercé en tant que professeur d’Économie et de Statistiques au sein du Ministère de l’Éducation. Dans cette première partie de l’interview qu’il nous a accordée, il discute de la culture guinéenne dans sa diversité, compare la musique d’autrefois à celle d’aujourd’hui, et évoque la vie des différents orchestres nationaux et fédéraux à succès que la Guinée a connus. Lisez !

Guinéenews : pour commencer, dites-nous quel est votre avis sur la culture guinéenne dans son ensemble et quel parallèle faites-vous entre la culture que vous aviez connue et celle d’aujourd’hui ?

El hadj Amadou Thiam : jadis, notre culture était la meilleure. Elle était instructive et ça parlait des réalités. Le plus souvent, la culture éduque et quand elle éduque, elle forge l’émancipation et le patriotisme. Ce n’est pas le cas présentement. Sans tomber dans la vulgarité, je dirais que celle qu’on est en train de vivre, tend vers la dépravation. Actuellement sur le plan de la musique, je suis désolé de ne pas avoir le courage d’écouter cette musique avec des personnes respectables, à plus forte raison mes enfants. Quand on prend des titres du Bembeya tels ‘’Moussogbè’’, ‘’ Sènèro’’, ‘’ Air Guinée’’, entre autres, c’est une satisfaction totale à l’écoute, et ce sont des titres inoxydables. Quant aux musiciens d’aujourd’hui, pardon les artistes, après une dédicace au palais, la suite est néant. Faites passer les anciens morceaux de nos formations nationales ou fédérales, vous avez l’impression que ce sont des titres qui viennent d’être produits. Je n’accuse pas tous, mais la quasi-totalité est en train de s’évertuer sur des chansons et thèmes qui n’ont pas de valeurs éducatives. Ce qui ne sert absolument rien à la culture guinéenne. Prenons aussi le djéli, qui est différent du griot qui quémande. Feu Djéli Mamoudou Kandé à travers sa composition musicale pour dire ‘’NON !’’ au referendum du 28 septembre, est un chef-d’œuvre qui revient à chaque fête de l’indépendance, et qui avait galvanisé les troupes. Il n’y a plus de bons sens qui guide certains jeunes.

Guinéenews : parlez-nous des caractéristiques de ces nombreux orchestres nationaux et fédéraux de votre époque ?

El hadj Amadou Thiam : à notre temps, il y avait l’orchestre Kèlètigui qu’on appelait l’orchestre des ‘’grands’’, les Baladins, celui des ‘’intellectuels’’, le Bembeya, celui de ‘’l’ambiance’’, le Horoya band l’orchestre de la ‘’tradition’’ et quelque part dans la capitale, existait aussi les Sofas de Camayenne appelé orchestre des ‘’ jeunes’’ et tant d’autres.

Si vous prenez le titre ‘’ Takourata’’ du Horoya band national que j’aime bien, pour un simple exemple d’inspiration de ces talentueux musiciens de l’époque, ce titre ‘’ Takourata’’ et non ‘’ Takoulata’’ déformé, du Horoya band de Kankan est un tube. D’après cette histoire racontée, c’est suite à la visite du feu Président Ahmed Sékou Touré à Kankan, que ce titre a été composé par feu Djéli Fodé Diabaté. Lors de la soirée organisée, un pilote avait fait une invite à une cavalière, qui ne savait pas danser et celle a décliné l’invitation en disant ceci en malinké « wa kourata’’ littéralement traduit en français ‘’ va chercher une nouvelle’’, d’où l’inspiration de feu Djéli Fodé Diabaté dans le titre ‘’ Takourata’’. Qu’ils étaient franchement inspirés nos musiciens de devoir, comme aime à le dire mon jeune frère, Jean Baptiste Williams.

Quant aux orchestres fédéraux, je ne peux me référer que là où j’ai connu et grandi, notamment le Bafing jazz de Mamou au temps d’Amadou Balakè, le Kakandé jazz avant qu’il ne devienne le Sorsorne de Boké, et le Kèbaly jazz de Dinguiraye. Ce sont des orchestres qui m’ont bercé. Quand je prends le titre ‘’Bailar vi centé’’ d’Amadou Ballakè repris par le Bafing jazz, et le titre ‘’Montre sa l’heure ma’’ du sorsornè, ce sont encore des titres au gout du jour. Pour l’anecdote, il parait que ce titre est parti de deux capitaines et d’un nationaliste. Je me retiens de citer les noms et c’est un manquement à l’heure des uns, qui a inspiré feu Marius Trésor Bangoura. Tous ces titres sont aujourd’hui des tubes consommables à souhait. A ajouter au compte du Bafing jazz de Mamou, les titres ‘’Sontila’’, ‘’ Toubaka’’, j’ai connu ce merveilleux temps.

La musique guinéenne était au top et elle avait une valeur et même une plus-value. A l’époque, la voix de l’Amérique étant très suivi à travers le disque des auditeurs de Roger Guifolly ou de Georges Colliney, sur 10 programmations, les orchestres guinéens d’antan, raflaient la moitié de ces programmations.

Guinéenews : quelle était votre préférée parmi toutes ces formations nationales ou fédérales du pays et quels sont les éléments qui prévalaient dans vos choix ?

El hadj Amadou Thiam : ce n’était pas beaucoup difficile. Pour des raisons nationalistes, j’aimais beaucoup le Bafing jazz. Je suis de Mamou, de par l’origine de ma mère et franchement, c’était une bonne musique. A côté, je suis obligé de supporter en plus du Bafing, le Sorsornet de Boké, préfecture où j’ai vécu longtemps. Et le Kèbaly jazz de Dinguiraye me rappelle de mes vacances pendant lesquels je ne payais rien pour assister à une soirée ou manifestation pourtant payante. Parmi ces formations nationales, il est difficile de faire un choix. C’est comme on vous disait de faire un choix parmi vos 10 enfants et surtout des enfants qui n’ont pas atteint 10 ans. Si ce sont des enfants qui ont l’âge de 50 ans, le plus souvent dans ma langue maternelle, l’on dit « Ko nafowoma yidhata » littéralement traduit en français (c’est celui qui te satisfait que tu vas suivre). Seulement, il y a des moments quand on veut bien se cadencer, s’exploser, on préfère le Bembeya. Si on veut faire le faro (le boucan), c’est avec les Sofas de Camayenne. Quant à Kèlètigui et Balla et ses Balladins à mon époque, on disait que ces orchestres sont pour les vieux, vu l’âge que j’avais à l’époque.

Guinéenews : aviez-vous pratiqué un ensemble artistique du pays à votre temps ?

El hadj Amadou Thiam : à vrai dire, je n’ai pratiqué ni le sport encore moins le théâtre. Je suis né drépanositaire et cela a été diagnostiqué dans un bateau médicalisé américain appelé ‘’HOP’’ en 1964. Quant au théâtre, je pouvais mieux m’affirmer en récital. Malheureusement, j’étais grand bègue et j’ai été vite disqualifié. Pratiquement, je suis devenu finalement un consommateur qui n’allait que pour danser.

Guinéenews : parlons des différents concerts réalisés par nos formations orchestrales et qui demeurent légendaires… Le concert ‘’Regard sur le passé’ du Bembeya jazz national ou ‘’ Boloba’’ du Horoya band national, entre autres, sont illustratifs. Pouvez-vous nous situer sur l’origine des sujets abordés et leurs portées ?

El hadj Amadou Thiam : pour le cas des concerts, le Bembeya jazz avec son concert ‘’Regard sur le passé’’, je confirme que c’est un concert hors-classe. C’est un concert qui a été préparé suite au 10ème anniversaire de l’indépendance de la Guinée qui a vu jour, suite au rapatriement des restes de nos héros Almamy Samory Touré, Alpha Yaya Diallo. C’est de l’histoire… Quant au concert ‘’Boloba’’ du Horoya band national, c’était un simple orchestre fédéral qui avait l’envie de bousculer les orchestres nationaux de la capitale. Si vous prenez le concert Soundiata de Kèlètigui et ses tambournis, j’avoue qu’à l’origine et les sujets abordés étaient de taille. Il y a un autre concert du Bembeya que j’ai bien aimé, et c’est le ‘’ Chemin du PDG’’. C’est l’histoire du Parti Démocratique de Guinée, le parti majoritaire qui nous a conduits à l’indépendance.

Guinéenews : comment la politique culturelle d’alors a pu hisser la culture guinéenne au sommet de la gloire ?

El hadj Amadou Thiam : je vais vous rectifier en disant que c’est la culture qui a poussé la politique. Souvent, on parle du 2 août 1968, le lancement de la Révolution Culturelle Socialiste. Avant cette date, la culture existait déjà. La politique est venue trouver que la culture était prête et à être consommée. La politique et la culture constituent le wagon et la locomotive. Et le tout a donné un train.

Guinéenews : êtes-vous imprégné de la nouvelle politique culturelle de la République de Guinée (154 pages), publiée par l’Harmatan Guinée en 2018, œuvre du Ministère des Sports, de la Culture et du Patrimoine historique. Si oui, quel est votre point de vue ?

El hadj Amadou Thiam : malheureusement, je n’ai pas lu ce bouquin. Il parait qu’il est cher et moi je suis à la retraite et tout ce qui est au-dessus de 100.000, pour nos poches et vu notre statut actuel, il est difficile de s’en procurer.

Guinéenews : avez-vous connu les Ballets africains de Guinée depuis leur début. Qu’en pensez-vous actuellement de ces Ballets africains et l’art guinéen en général ?

El hadj Amadou Thiam : les Ballets africains de Fodéba Keita de Guinée ont été jetés. Tous les gouvernements qui se sont succédés après 1984, n’en ont pas fait leurs problèmes. Il ne s’agit pas de venir donner une médaille à quelqu’un, il faut l’accompagner. Au début de l’indépendance, ce sont ces ballets qui payaient les fonctionnaires guinéens. C’est à travers ces ballets que ce pays a eu sa télévision nationale (Ballet Djoliba).  Paix à l’âme de feu Hamidou Bangoura, personnellement, je pense que cet artiste devrait être célébrer comme un héros de la culture guinéenne. Pour l’art guinéen, est-ce qu’il est vendu actuellement ? Qu’est-ce que présentement cet art rapporte à la Guinée, je suis désolé et vous comprendrez la suite.

 Guinéenews : des anciennes équipes de football guinéens que vous avez côtoyées, le Hafia FC demeure ce club qui a réalisé la plus grande prouesse en s’adjugeant par trois fois, le trophée continental ‘’Dr Osagyefo Kwamè N’Krumah’’. Quel est votre regard sur football guinéen actuellement et de ses instances dirigeantes ?

El hadj Amadou Thiam : Il faut se dire la vérité, le football guinéen est présentement basé sur le mercantilisme. Je rends ici hommage à feu Soumah Soriba Edenté, Thiam Ousmane Tolo, feu Papa Camara qui nous ont gratifiés avec leurs sociétaires de cette grandeur en 1972, 1975, 1977.

Combien de milliards ont été engloutis dans ce football et pour quel résultat. La mauvaise gestion est présente et l’argent ne parvient pas aux vrais destinataires. J’ai assez de preuves et même à travers vos plusieurs interviews des anciens internationaux.

Pour les instances supérieures, je crois qu’il est temps de mettre en place des ressources humaines qui connaissent réellement le football. On peut désigner des élites pour diriger tous les secteurs, mais s’ils n’y sont pas suffisamment outillés par rapport aux responsabilités qu’elles doivent assumer, c’est l’échec assuré au bout. A tout cela, il faut que les dirigeants acceptent de reconnaitre le passé et de penser au pays. Aujourd’hui, ce sont des comités de normalisation qui se succèdent à la tête de nos fédérations. Par le passé, pourtant, le pays n’a jamais connu cet état de fait. Certes, tout est électif en ce moment et rendons hommage à feu N’Famara Camara qui fut un des présidents de la Fédération Guinéenne de Football. Tous s’engagent à boire le lait et à couper le beurre. Soyons sérieux.

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews.