Guinea
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Pr Sadjo Barry : "La réalisation d’un État fédéral n’est pas possible entre la Guinée et le Mali…"

CONAKRY-Le célèbre artiste malien Salif Keita veut matérialiser le vieux projet de création d’un -Etat fédéral Guinée-Mali- qui tenait à cœurs les anciens Président Ahmed Sékou Touré et Modibo Traoré. Est-ce faisable ? « NON », tranche l’universitaire Pr. Amadou Sadjo Barry.

Interrogé par Africaguinee.com ce professeur de philosophie au Cegep (Collège d'enseignement général et professionnel) de Saint-Hyacinthe, Québec, Canada, livre son analyse sur ce sujet qui défraie la chronique. Entretien.

AFRICAGUINEE.COM : Le célèbre artiste malien Salif Keita appelle à la matérialisation du projet de fédération Guinée-Mali. Quelle lecture faites-vous de cette ambition ?

PR. AMADOU SADJO BARRY : Je ne suis pas contre le fédéralisme. Pour ce qui concerne le cas de la Guinée, je défends même un modèle de « fédéralisme mou » dans mon livre Rupture. Essai sur la fondation politique de la Guinée. Toutefois, le fédéralisme n’est pas qu’une vue de l’esprit. Sa réalisation doit tenir compte des situations culturelles, politiques, économiques et sociales qui ne sont pas tout à fait les mêmes en Guinée qu’au Mali. Tant sur le plan de la monnaie que de l’intégration économique sous régionale, la Guinée et le Mali présentent des différences structurelles importantes qu’il serait difficile de noyer dans projet d’État-fédéral.

Que pensez-vous de la Faisabilité d'un tel projet ?

La Guinée n’est pas confrontée à la problématique Touareg, et il n’est même pas certain qu’il existe une convergence culturelle entre le Hâli pular et les Mandingues des deux pays. Ce qui veut dire que la question multiculturelle au sein des deux pays ne peut pas recevoir le même traitement politique et institutionnel. Sur le plan politique et sécuritaire, les deux pays ne sont pas tout à fait confrontés au même défi. De même, je rappelle qu’historiquement l’Empire mandingue couvrait certes une partie de la Guinée actuelle, mais ne couvrait pas toute la Guinée. Il en va de même de l’Empire peul du Macina qui s’étendait sur des parties différentes de certains pays de l’Afrique de l’Ouest.

Actuellement, la Guinée et le Mali ne présentent pas les mêmes configurations géographiques, culturelles et socio politiques que les territoires qu’ils couvraient avant la colonisation. Il faut donc faire attention à ce que le romantisme ne nous conduise à vouloir à un État fédéral entre deux pays qui rencontrent des difficultés profondes en matière d’organisation politique et institutionnelle de la diversité culturelle et de la redistribution équitable des richesses et du pouvoir entre ses différentes communautés culturelles.

Il ne faudrait pas qu’une pagaille s’ajoute à une autre pagaille. Oui, pour le renforcement de la coopération économique, politique et culturelle entre les deux pays. Mais la réalisation d’un État fédéral n’est pas possible entre la Guinée et le Mali. Ce n’est même pas souhaitable, à moins qu’on veuille multiplier les sources de conflit et accentuer l’instabilité dans la sous-région. Et personnellement, je crois que les autorités de la transition ont d’autres priorités… 

Quelles peuvent en être les conséquences ?

Une fois encore, l’État fédéral entre la Guinée et le Mali n’est pas faisable en l’état actuel de nos deux pays. Faut-il rappeler que l’État malien ne contrôle plus que 15 % de son territoire- 10 % du Nord et 21 % du centre (Rapport de la Minusma, Juin 2022). Comment la Guinée, elle-même politiquement très fragile, peut-elle entrer dans une fédération avec un pays où s’intensifient les problèmes du terrorisme et de l’intégration des minorités ? Soyons un peu lucides ! La Mali est un pays frère avec lequel nous avons une longue histoire, mais la fraternité et les liens historiques ne suffisent pas pour constituer un État fédéral.

Du moins s’engager dans un tel projet, qui impactera pour longtemps le destin de nos peuples, nécessite de sérieuses et profondes réflexions sur la nature et les problèmes auxquels sont confrontées nos sociétés. Mais le danger du désir, comme le montrait Freud, est qu’il obéit exclusivement au principe de plaisir…en étant aveugle au principe de la réalité. Oui, le politique se nourrit de désir. Toutefois, l’agir politique ne peut pas nier la réalité.

Le Mali et la Guinée ont plus besoin aujourd’hui de résoudre les difficultés internes qui accentuent la souffrance et la précarité des citoyens. Pour ce faire, les deux pays peuvent renforcer leur coopération économique, politique et culturelle. Le risque aujourd’hui est qu’une telle coopération se fasse dans une perspective qui vise l’affaiblissement de la Cédéao. Ce serait stratégiquement un mauvais calcul dans un contexte géopolitique instable où l’Afrique et ses régions n’arrivent pas à imprimer leurs marques.

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo 

Pour Africaguinee.com 

Tel: (00224) 664 72 76 28