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A la recherche de sa petite part du monde 

Nouvelle parution

Parmi toutes les versions d’une histoire de famille compliquée, il faut choisir au mieux, pense Isabelle Marrier.

Parmi toutes les versions d’une histoire de famille compliquée, il faut choisir au mieux, pense Isabelle Marrier. Foto: Claude Gassian

Plonger dans une histoire familiale, réelle ou imaginée, contre tous risques et périls, pour ne pas en remonter indemne, inchangé, est un sujet classique de ce genre si particulier, souvent déroutant, de la soi-disant autofiction, voire de l’enquête psycho-généalogique, que peu d’auteurs maîtrisent avec l’art et la finesse dont Isabelle Marrier donne une nouvelle preuve de son excellence dans son nouveau roman «Celle qui n’y était pas».

Explorer un passé souvent compliqué, ténébreux, pour en extraire, avec la clairvoyance et le discernement, la preuve de sa propre existence, la réponse à la question obsédante qui hante vos jours et vos nuits – «le passé est-il une histoire, racontée par quelqu’un qui n’y était pas?» – comporte le risque, pour l’auteur comme pour le lecteur, de s’y perdre, et par précaution Isabelle Marrier a fait précéder son texte d’un arbre généalogique, précisant qui de ces trois familles dont elle va raconter l’histoire, est lié à l’autre par le sang, le mariage ou une liaison amoureuse. 

Entre passions et souffrances 

C’est par un décès, celui d’Alice, la mère de la narratrice innommée, que s’opère l’entrée dans ce plutôt sombre tableau familial, où les temps et les époques s’avèrent être tout aussi compliqués que les âmes et les destins, mêlant les espaces géographiques – du Bordelais à l’île Maurice en passant par l’Anjou, Paris, Londres et la Bretagne – et les grandes crises historiques – après le colonialisme et la Grande-Guerre, l’Occupation, la France Libre et la Résistance, puis la réappropriation, collective et individuelle, de la vie et de la liberté dans un permanent combat à maintenir les convictions et les apparences.

Ainsi se dévoilent, entre crises, drames, héroïsme et multiples obsessions, les destins de ces trois familles, les Ghibertie, les Dutertre et les d’Amberville, qui, venus d’horizons distincts, se rencontrent, s’emmêlent et se consument en un lent mais constant brasier passionnel, dont la narratrice résume ainsi, avec ironie et détachement, l’ampleur incandescente et compliquée: «Pour faire court, Guillaume aime ou a aimé Alice qui aime Jacques qui est aimé d’Irène. Jacques s’apprête à aimer Alice. Ou c’est déjà fait, peu ou prou. Guillaume veut et ne veut pas quitter Alice. Alice peut et ne peut pas quitter Guillaume. Jacques a juré à Irène qu’il ne l’abandonnerait jamais.

En gros, Guillaume a besoin de l’amour d’Irène et d’Alice. Alice a besoin de l’amour de Jacques. Irène a besoin de l’amour de Jacques. Jacques aime Alice, Jacques aime Irène sans l’amour, Jacques se sent responsable de Guillaume. Un truc comme ça.» Dans cet embrouillamini d’émotions véhémentes et de souffrances inavouées, il ne reste plus qu’à trouver la place – et le rôle – de la narratrice, celle, justement, «qui n’y était pas». 

Un roman bouleversant sur la découverte d’un difficile passé familial.

Dans une langue très imagée, alternant entre poésie chatoyante, ironie grinçante et les formules d’un réalisme brut et claquant, la romancière convoque les images et les sensations d’un passé lointain qui lui viennent avec une précision parfaite des limbes d’une jeunesse qui est censée être celle de son héroïne sans laisser dupe le lecteur quant à la source du moins partiellement authentique. 

Un monde peuplé de fantômes 

En épluchant avec sa fille Louise, au lendemain de l’enterrement de sa mère, les lettres, photos et autres documents accumulés par ses parents, tâchant de mettre «de la paix et de l’ordre» dans sa mémoire, elle retrouve son regard d’enfant, «des détails minuscules et précis de mon univers circonscrit», en tâchant de découvrir dans la précision de «ma petite part du monde» le seul mystère qui compte pour elle: «qu’il y ait un monde plutôt que rien.» 

Ce monde a beau être peuplé de fantômes, c’est bien son monde à elle, et désormais à sa fille enceinte, en passe de prolonger la postérité d’un passé partagé. A moins qu’un autre drame se cache sous les apparences toujours et encore trompeuses d’une tragique histoire familiale… 

Isabelle Marrier, «Celle qui n’y était pas», Editions Flammarion, 320 pages, 20 euros. 
Isabelle Marrier, «Celle qui n’y était pas», Editions Flammarion, 320 pages, 20 euros. 

Isabelle Marrier, «Celle qui n’y était pas», Editions Flammarion, 320 pages, 20 euros. 

Ce monde a beau être peuplé de fantômes, c’est bien son monde à elle, et désormais à sa fille enceinte, en passe de prolonger la postérité d’un passé partagé. A moins qu’un autre drame se cache sous les apparences toujours et encore trompeuses d’une tragique histoire familiale… 

Si ce beau et bouleversant roman raconte la découverte d’un difficile passé familial en décortiquant ses énigmes, ses ténèbres et ses mystères, dissimulé sous le mutisme des uns et la froideur des autres, il est aussi celui d’un lent réapprentissage de sentiments disparus, atrophiés, entre les femmes de cette tribu compliquée, à l’image justement des non-dits subsistant entre la narratrice et sa fille enceinte, de son incapacité de future grand-mère à dire sa joie devant la naissance prochaine d’une fille –  à l’instar de sa propre mère qui, avant elle, restait de marbre dans l’attente de sa petite-fille.

Les femmes, sur pas moins de quatre générations, sont ainsi les figures centrales de cet émouvant roman où se croisent et s’entrechoquent, dans un commun univers d’aisance bourgeoise, d’incompréhension sentimentale et de crises historiques, des destins façonnés par les guerres, les hommes et un hermétisme absolu, génétique au partage affectif.