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"Ce qui nous préoccupe c'est l'enchaînement des sécheresses hivernales et estivales d'une année sur l'autre." Un hydrologue alerte.

Qui est-il?

À 35 ans, Pierre Brigode, enseignant-chercheur en hydrologie au sein de l’Université Côte d’Azur, est spécialiste de l’analyse des crues et des sécheresses. Son terrain d’observation privilégié court du fleuve Roya à la frontière italienne, jusqu’à la Siagne à l'extrémité ouest des Alpes-Maritimes, en passant par le bassin versant du fleuve Var. "Ce département est particulièrement intéressant. Car on est à la frontière entre deux milieux et deux climats: la montagne donc la neige, et le côté méditerranéen du bord de mer."

Sa mission: décortiquer les données (niveau et débit des fleuves, analyse du manteau neigeux…), créer des modèles, faire des prévisions à court terme et quantifier l’impact du changement climatique sur ces phénomènes extrêmes liés à la ressource en eau. Une exploration qui le conduit en ce moment à travailler à Paris, au sein de l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), "dans une équipe qui a une expérience de pointe en modélisation et prévision des sécheresses".

Quelle est la situation actuelle?

"Nous sommes dans la période charnière pour faire le bilan de la ressource en eau. En cette fin septembre, il s’agit de la fin de l’année hydrologique", pose Pierre Brigode.
Verdict: "Si l’été écoulé n’a pas été particulièrement plus sec, l’année l’est. Ce qui la rend inédite, c’est la sécheresse, très perturbante, enregistrée l’hiver dernier. Ce qui nous préoccupe aussi, c’est l'enchaînement des sécheresses hivernales et estivales d’une année sur l’autre."

"L’année 1976 avait été marquée par une très forte sécheresse mais il n’y avait pas cette notion d’accumulation. C’est d’autant plus inquiétant que les indicateurs pour l’avenir ne sont pas optimistes", Pierre Brigode, hydrologue

Du côté des indicateurs, le dernier bilan publié par la Direction régionale de l’environnement (Dreal) le 12 septembre mentionne, sur l’année hydrologique qui s’achève, "un déficit de précipitations de l’ordre de 25 à 50% par rapport à la normale" dans les Alpes-Maritimes et le Var. "Les précipitations efficaces sont négatives sur l’ensemble du bassin", précise la Dreal. En clair, ce sont les pluies capables de s'infiltrer suffisamment pour recharger les nappes phréatiques et arriver dans les cours d’eau qui font défaut. Dans le centre Var jusqu’à l’Estérel, et à l’est des Alpes-Maritimes, du littoral au moyen pays, ce déficit est de plus de 75 % par rapport à la normale, indique la Dreal.

La quantité globale de précipitations est aussi à la baisse. Selon le site Info climat, de janvier 2023 à ce jour, les cumuls de pluies sont déficitaires de 33% dans les Alpes-Maritimes et de 30% dans le Var par rapport à la valeur médiane enregistrée de 1997 à 2022 durant la même période.

Quelle est votre action?

"Être hydrologue sur la Côte d’Azur, c’est s’intéresser aux bassins versants proches mais cela conduit aussi à se focaliser sur d’autres contextes hydro-climatiques", explique Pierre Brigode. En ce moment, le scientifique travaille ainsi sur un projet de recherche autour d’une rivière en Ethiopie. "Elle a la particularité de ne pas se jeter dans la mer mais dans un grand lac, situé à la frontière avec Djibouti. Nous y étudions sur le temps long la façon dont le niveau du lac évolue en fonction des périodes sèches et humides. Ainsi que l’impact de ces variations sur le mode de vie des populations", détaille-t-il. Des travaux scientifiques qui lui permettent aussi d’étayer le caractère global des bouleversements climatiques.

"Le dérèglement se manifeste de partout mais dans des proportions et via des phénomènes totalement différents", Pierre Brigode, hydrologue

"C’est intéressant de voir les différentes facettes du dérèglement et cela permet d’avoir du recul sur nos modèles quand on les utilise dans différents contextes", souligne le scientifique. 

Quelle réflexion vous inspire l’actualité climatique?

En tant qu’enseignant-chercheur, Pierre Brigode transmet ses connaissances scientifiques à des étudiants. Père d’une petite fille, le scientifique prête aussi une attention particulière aux enjeux de vulgarisation des questions climatiques aux plus jeunes. "Les nouvelles générations doivent comprendre ce qu’il se passe. Il faut mettre de l’énergie dans cette transmission à tous les niveaux et à tous les âges", pointe celui qui a déjà mené, lorsqu’il était post-doctorant, des actions de sensibilisation aux missions d’hydrologue dans des collèges classés Réseau d’éducation prioritaire.

"Dans les labos de recherche, il manque des postes dédiés à faire le relai entre les travaux scientifiques et la vraie vie, le quotidien des gens", Pierre Brigode, hydrologue

"La vulgarisation scientifique n’est pas assez mise en avant à mon sens. Il faudrait davantage de financements et de métiers dédiés à cela. Dans les labos de recherche, il manque des postes dédiés à faire le relai entre les travaux scientifiques et la vraie vie, le quotidien des gens ", juge le scientifique.