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Edito. Réchauffement climatique: les larmes d'un glacier

Je suis un glacier, de ceux que l’on trouve au-dessus de 3 000 mètres.

Ces derniers siècles, j’ai eu une belle vie, lové dans ma vallée, bien au froid. Je tutoyais les neiges éternelles; je m’ébrouais dans la poudreuse; je jouais à cache-cache entre crevasses et séracs.

L’été, je me la coulais douce grâce à mes réserves accumulées à la saison froide. J’étais costaud, une véritable armoire à glace. Je faisais fondre les vacanciers toujours prêts à me prendre en photo –pour eux c’était un peu holiday on ice– et je servais de terrain de jeux aux alpinistes et aux skieurs.

Depuis quelques années, j’ai la langue pâteuse et le teint vitreux. Je n’ose plus me regarder dans la glace. Ces derniers mois, j’ai transpiré à grosses gouttes, je suis complètement déshydraté, ramolli, rabougri.

Chaque été, les glaciers envahissent les villes et désertent de plus en plus les montagnes.

Mais je n’arrive plus, désormais, à reprendre des forces en hiver. Les chutes de neige ne sont pas suffisantes pour me remettre d’aplomb. Je vais continuer de dépérir. Au point, qu’à ce rythme-là, j’aurai disparu dans quelques dizaines d’années.

Et dire que certains s’acharnent à nier le réchauffement climatique. Je suis la preuve encore vivante que la température augmente sur la planète. C’est l’effroi!

Tel Sisyphe poussant son rocher, les Suisses ont décidé de recouvrir de bâches textiles, à la belle saison, plusieurs de mes congénères. Ne croyez pas pourtant qu’ils agissent de manière totalement désintéressée. Ils préservent ainsi les pistes de ski et grottes artificielles que nous offrons aux humains. Pendant combien de temps encore pourront-ils nous maintenir sous perfusion au vu du coût de ce dispositif?

Nous quittons irrémédiablement la scène. En nous retirant, nous rejetons les corps des alpinistes, que nous avions avalés, tels des Jonas des sommets, il y a longtemps.

Nous allons à vau-l’eau. En fondant à grande vitesse, le glacier de Tignes a formé un lac, seulement retenu par le reste de calotte glaciaire. Il a fallu commencer à le purger cet été pour éviter qu’il ne déferle un jour sur la vallée. La nature, tant malmenée par l’Homme depuis plus d’un siècle, prend, en quelque sorte, sa revanche. Elle le menace à son tour.

Pourtant, nous les glaciers, nous vivions paisiblement, avançant de quelques centimètres par an, distribuant avec parcimonie l’eau douce stockée dans nos entrailles...

Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’un torrent de larmes.