Monaco
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La Principauté vue par Elisée Reclus en 1864

Dans cette rubrique historique, nous publions régulièrement des textes d’écrivains d’autrefois qui concernent la Principauté de Monaco. Aujourd’hui un extrait des Villes d’hiver de la Méditerranée, publié en 1864 par l’écrivain historien Elisée Reclus.

En 1864, Monaco est au début du règne de Charles III. La Principauté est à nouveau enclavée dans le territoire français, le comté de Nice venant d’être rattaché à la France en même temps que Menton et Roquebrune.

Trois ruelles étroites

"L’aspect de Monaco est singulièrement pittoresque. Qu’on s’imagine trois ruelles étroites courant depuis la place jusqu’à l’autre extrémité du plateau ; à l’est un chemin de ronde, à l’ouest une terrasse accidentée agréablement, plantée de pins, de cyprès et d’une multitude d’aloès, de cactus et autres plantes qui y pullulent, comme chez nous la mauvaise herbe, et garnissent même l’escarpement sur toute sa hauteur en donnant au paysage un air véritablement africain ; de distance en distance, des plates-formes saillantes pour l’artillerie et les guérites en poivrières, pittoresquement suspendues sur l’abîme : vous avez une idée de Monaco…

Le rocher de Monaco étant exposé à tous les vents, la ville ne saurait guère espérer d’être adoptée par les étrangers comme résidence d’hiver. Cependant, il existe dans les environs quelques ravins abrités où l’on pourrait construire de charmantes villas de plaisance."

Le palais transformé en hôpital

"Le château, qui dresse ses tours à l’ouest de la ville, entre la place de Bellevue et l’isthme de la Péninsule, est un édifice d’ancienne date, agrandi par des constructions successives… La Révolution française fit de ce palais un hôpital pour les blessés de l’armée d’Italie, puis un dépôt de mendicité. Plus tard, les princes de Monaco le laissèrent peu à peu se dégrader, et plusieurs parties offraient déjà l’aspect de ruines lorsque les travaux de réparation commencèrent. Ils ne sont pas encore complètement terminés. Aussi les étrangers ne sont-ils admis à visiter que la cour d’honneur et les jardins…

La principale église, dédiée à Saint Nicolas (1), offre peu d’intérêt. Elle se compose de trois nefs de style roman… Les autres édifices de Monaco n’ont aucune importance au point de vue architectural. Le plus vaste est le couvent des Jésuites, qui servit de caserne aux troupes piémontaises de 1816 à 1860. Quelques maisons particulières offrent de jolis détails: on remarque surtout dans la rue de Lorraine deux charmantes petites portes de la Renaissance…"

Établissement d’hydrothérapie

"L’anse semi-circulaire du port, que les anciens appelaient la rade d’Hercule, offre une superficie d’environ 25 hectares, mais sa profondeur moyenne est peu considérable et les grands navires ne peuvent y pénétrer. En 1859, le mouvement total de la navigation s’est élevé à 857 navires.

Au pied du rocher qui porte la ville, et sur le bord de la plage sablonneuse qui descend en pente douce sous la surface bleue du flot, s’élève un nouvel établissement de bains appartenant à la société du Casino et renfermant, outre les cabinets des baigneurs, des salons, un restaurant, un café. Un établissement d’hydrothérapie est annexé à la maison des bains. Les malades qui viennent des pays du Nord peuvent continuer de suivre dans cet établissement le traitement déjà commencé ailleurs…"

Le charmant plateau des Spélugues

"Le monument qui s’élève sur le charmant plateau des Spélugues, au nord de la baie, est le Casino. La façade septentrionale de l’édifice, qui donne sur une place rectangulaire entourée de constructions (Hôtel de Paris, remises, etc.) est précédée d’un péristyle à colonnes, qui donne accès à une magnifique salle de bal de 30 mètres de longueur, haute et large en proportion. Dans le même rez-de-chaussée se trouvent les salles de concert, de conversation, de lecture et de salons de jeu. Tout invite les étrangers à venir déposer gaiement leur argent sur le tapis vert. On espère donner à Monaco une prospérité factice par l’attraction du jeu, surtout lorsque l’ouverture du chemin de fer permettra de s’y rendre de Nice en quelques minutes…

La petite plaine comprise entre le plateau des Spélugues, le rocher et Monaco et la base des escarpements de la Turbie est occupée par des bosquets de citronniers et d’oliviers. À travers la verdure, on aperçoit la blanche façade de la villa Condamine, qui jadis appartenait aux princes et la chapelle de sainte Dévote, patronne de Monaco.

Au nord-est du plateau des Spélugues, la route de Menton longe le bord de mer en contournant les âpres ravins qui descendent du haut de la montagne. Dans l’un, celui de Vine, nombre de Français furent tués en 1792 par les milices du pays organisées sous le nom de barbets. Près d’un autre ravin, on remarque sur une crête de rochers les débris de la tour que les Romains avaient établie pour surveiller la frontière des Gaules et de l’Italie…"

"Je ne sème ni ne moissonne, mais je veux manger"

"La récolte des fruits est la seule industrie des Monégasques ; mais elle ne donne pas de résultats assez importants pour subvenir aux besoins de la population : si la principauté de Monaco était tout à coup séparée du reste du monde, la plupart des habitants mourraient de faim… Un proverbe monégasque dit : ‘‘Je suis à Monaco sur un écueil. Je ne sème ni ne moissonne, et pourtant je veux manger’’.

Autrefois, c’était la guerre qui faisait vivre Monaco, aujourd’hui ce doit être le jeu…"

Biographie express

Élisée Reclus (1830-1905) est un écrivain, historien et géographe qui fit autorité en son temps. Il est aussi connu pour son militantisme anarchiste. Pendant le Second Empire, il s’exila en Amérique.

De retour en France, il collabora à la Revue des Deux Mondes puis fut engagé par la maison Hachette pour participer à la rédaction des guides les plus connus à l’époque, les Guides Joanne, ancêtres des célèbres Guides Bleus.

Au moment des émeutes de la Commune de Paris (1871), il fut emprisonné. En 1894, il fonda à Bruxelles l’Université nouvelle.

Ses ouvrages majeurs sont La Terre en deux volumes, sa Géographie universelle en 19 volumes, l’Homme et la terre en 6 volumes, mais aussi les Villes d’hiver de la Méditerranée dont nous extrayons notre texte d’aujourd’hui. Il y a qualifié Menton de "Perle de la France".