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Michel Barnier invité de "L'Interview à la une" : "l’Europe a été trop ultralibérale"

À 72 ans, Michel Barnier a un CV parmi les plus prestigieux de la République. Quatre fois ministre. Deux fois commissaire européen. Négociateur de l’Union européenne pour la rupture avec le Royaume-Uni (1). Organisateur des Jeux olympiques d’Albertville en 1992. Ce grand (à tout point de vue) commis d’État veille cependant à ne jamais faire trop. Ni de droite. Ni techno. Ni écolo. Ni libéral. Ni europhile. Ni pro-Macron. Ni anti.

En marge du sommet sur le climat de Nice où il a fait une apparition jeudi, c’est une personnalité tout en nuances qu’accueille cette semaine L’Interview à la une, grand entretien de Nice-Matin en partenariat avec Radio Émotion.

Ou un candidat (qui s’en cache à peine) protéiforme à la tête de la liste des Républicains aux élections européennes du 9 juin. "Sauf surprise, ça ne sera pas lui", chuchote-t-on à la tête du parti, sauf que tous les autres profils incarnent des lignes nettement plus restrictives. Voici une sélection des propos qu’il tient dans la vidéo à voir ci-dessous.

Écologiste ?

"C’est un engagement très précoce. J’ai eu la chance de travailler avec Robert Poujade, à qui Georges Pompidou avait confié le tout premier ministère de l’Environnement en 1971. Député, en 1978-1980, je suis devenu rapporteur du budget de l’environnement. De tous les défis qu’on à affronter, c’est le plus grave, celui qui va changer tout. C’est une réalité le changement climatique. Il faut se préparer et anticiper."

La bataille du climat

"Il est très tard mais pas trop tard. Si un homme politique vous dit qu’il est trop tard, il faut qu’il fasse autre chose. La politique c’est être capable de changer les choses et de créer du progrès. On doit être plus sobres, plus économes des ressources, des espaces naturels, parce qu’ils ne sont ni gratuits, ni inépuisables. Donc, il faut que la croissance soit différente. J’avais parlé à une époque d’éco-croissance."

La droite et l’écologie

La droite est à l’origine de toutes les grandes étapes. J’en ai franchi quelques-unes avec la loi Barnier, la création de la Commission nationale du débat public et le Grenelle de l’environnement sous Sarkozy. On n’a pas de complexe à avoir avec l’écologie humaniste et concrète et pas l’écologie punitive. Notre pensée globale doit être éclairée par la science, pas dominée par la technocratie. Il faut faire attention aux gens. Neutralité carbone en 2050, réduction des chaudières à fioul et des voitures thermiques : les objectifs européens sont bons. Mais il faut accompagner ce mouvement. Si vous l’imposez d’en haut, comme la gestion très verticale de notre pays depuis une dizaine d’années, ça conduit à de graves erreurs. Je ne suis pas partisan du tout nucléaire mais on en a besoin. MM. Macron et Hollande ont abandonné Fessenheim et une grande partie du nucléaire pour aujourd’hui reprendre. Ce sont dix ans de perdus."

Nucléaire ou éoliennes ?

"Il faut les deux. Sans le nucléaire, on n’a pas d’électricité bon marché mais on a besoin de développer les énergies renouvelables. Je crois d’ailleurs davantage au solaire."

Comment est-il venu à Nice ?

"En avion mais je prends très souvent le train. Je n’ai pas de culpabilité mais je fais attention. Il faut prendre l’avion quand on y est obligé. Chacun a un rôle pour tout le monde. Très modestement mais de manière très tenace, je fais attention au tri des déchets, à la consommation d’eau (plus de douches que de bains), je circule en vélo non-électrique à Paris."

Macron et l’écologie

"D’une manière générale, on n’a pas fait les bons diagnostics au début du premier quinquennat. Mais la planification annoncée et placée sous la responsabilité de Mme Borne, une femme tenace, est une bonne orientation. J’ai été ministre de l’Environnement et j’ai souffert d’être isolé dans le gouvernement, malgré la confiance très solide à mon égard du Premier ministre, M. Balladur. Ces sujets sont tellement graves, tellement transversaux, qu’il faut que le Premier ministre les gère."

L’Europe est-elle assez écolo ?

"L’Union européenne est la bonne dimension. Nous sommes dans un grand marché qui est bien davantage qu’une zone de libre-échange. C’est un écosystème avec 22 millions d’entreprises, 450 millions de concitoyens consommateurs. C’est là où on peut tenter d’éviter la concurrence déloyale. Et l’Europe a pris de bonnes décisions, parfois plus modestes qu’il ne faudrait, comme la taxe carbone. À cette réserve près que je voie une tendance technocratique à faire des normes, des règles, de la fiscalité. Les Américains, qui sont nos concurrents, agissent davantage par des subventions et des aides. Il y a une naïveté européenne à se méfier du protectionnisme et des aides publiques."

De droite et antilibéral ?

"Je suis libéral mais pas ultralibéral. Et l’Europe a été trop ultralibérale, a trop ouvert les portes et les fenêtres. La crise financière [de 2008] qui a détruit des millions d’emplois est venue des États-Unis, de banquiers qui se sont crus tout permis à force de dérégulations. Cette crise est arrivée chez nous. On était désarmés parce qu’on avait dérégulé. Commissaire européen, de 2010 à 2014, j’ai dû reconstruire toute la régulation européenne. En cinq ans, j’ai fait 41 lois pour remettre de l’ordre, de la transparence, de la morale et de l’éthique."

Candidat à la tête de liste LR aux élections européennes du 9 juin ?

"Nous avons des personnalités qui ont des différences et sensibilités complémentaires, des valeurs ajoutées. Il faut mettre tout ce monde ensemble, comme Sarkozy l’avait fait en 2009 quand il m’a demandé de mener la liste. On a fait 30 % des voix, en parlant aux Français qui avaient voté non et à ceux qui avaient voté oui [au référendum de 2005 sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe]. Aujourd’hui, il faut parler à la fois aux gens qui ont une sensibilité souverainiste, qui ont tendance devant les crises à se replier, et ceux qui savent qu’il faut être ensemble pour exister. Si on n’est pas ensemble, on est foutus ! On devient sous-traitants et sous influence des Chinois et des Américains. Nous travaillons avec Éric Ciotti [président des Républicains] à une ligne politique originale entre l’extrême droite et le fédéralisme du gouvernement actuel. Je serai utile, je participerai à ce débat. J’ai déjà été candidat et je n’ai pas de fébrilité sur cette question."

Éric Ciotti

"Je suis à ses côtés pour m’occuper des questions internationales et européennes. Il fait preuve de beaucoup d’humanité, d’écoute, de tolérance. On n’a pas toujours eu les mêmes idées. On a même été en concurrence."

Ciotti s’est-il trompé sur la réforme des retraites ?

"Je ne crois pas. Il a eu une attitude responsable dès l’instant où le gouvernement allait dans notre sens. Nous avions demandé cette réforme pour sauvegarder notre régime par répartition. Nous continuerons d’avoir à l’égard du gouvernement une attitude indépendante et libre."

Union des droites avec Le Pen et Zemmour ?

"Il n’en est pas question. Il n’y aura aucun compromis, aucune faiblesse à l’égard de l’extrême droite. On n’a pas attendu Mme Le Pen pour traiter les problèmes qui intéressent les Français. Et je recommande de faire attention à leurs préoccupations : une immigration que plus personne ne contrôle."

Les Républicains veulent déroger à la primauté des traités et du droit européen

"Quand on observe qu’une jurisprudence européenne remplit un vide parce qu’il n’y a rien dans la constitution française, il y a un problème. Sur l’immigration, cela nous empêche quelquefois d’expulser des gens pour la sécurité nationale, de prendre des mesures pour la stabilité de notre pays."

Sa négociation du Brexit

"Nous n’avons pas fait d’erreur. Nous avons bien négocié, sans agressivité, sans émotion, en respectant les Britanniques et leur grand pays. Mais je n’ai pas beaucoup de respect pour M. Johnson qui ne tient pas ses engagements. Aujourd’hui, j’observe un mouvement au Royaume-Uni qui contredit le Brexit. La porte reste ouverte. On a plein de choses à faire ensemble et nous avons besoin de nouvelles relations avec les Britanniques."

Sarkozy estime qu’il est temps de négocier en Ukraine

"Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Nicolas Sarkozy passe un peu vite sur le fait que c’est M. Poutine qui a déclenché cette guerre contre un pays souverain. Les Ukrainiens qui meurent par milliers se battent pour des valeurs qui sont les nôtres : la liberté, l’intégrité territoriale, les valeurs européennes, la démocratie. Nous avons un devoir de solidarité avec l’Ukraine. C’est M. Zelensky qui peut demander un cessez-le-feu. À ce moment-là, on devra imaginer une conférence internationale sur la nouvelle architecture de stabilité en Europe dans laquelle les Russes ont leur part. Mais ce moment n’est pas venu."

La candidature des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Sud aux Jeux olympiques d’hiver de 2030

"On a toujours raison d’avoir l’ambition d’accueillir de grands événements. Cette candidature est une idée que je crois bonne. On peut organiser ces Jeux demain : il y a tous les équipements. Et trente ans après les Jeux d’Albertville que j’ai présidés avec Jean-Claude Killy, tout fonctionne. Je ne crois pas que mon expérience me donne le droit de donner des leçons mais je peux la partager et être utile."

Pourquoi n'a-t-il pas rejoint Macron ?

"J’ai été intéressé par le fait que ce jeune président tienne un discours [sur l’Europe] à la Sorbonne dans lequel j’ai retrouvé beaucoup d’idées que j’ai moi-même défendues ou écrites. Après, j’ai trouvé la gestion du pays pendant son premier quinquennat très solitaire, un peu arrogante. Le président de la République doit présider, le gouvernement doit gouverner. Lui a fait les deux. Le pays a besoin de respect à tous les niveaux."