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Retour sur l'histoire de Marie van Zandt, 1ère à avoir interprété la princesse hindoue Lakmé à l'opéra

C’était le 31 décembre 1919. Alors que la première année de l’après-guerre s’achevait au milieu des festivités de la saint Sylvestre, la mort à Cannes de la comtesse Tcherinov passa plutôt inaperçue. Seuls les lecteurs des chroniques nécrologiques et les membres de la communauté russe de la ville y prêtèrent attention. Mais parmi ceux qui furent touchés par cette disparition, combien savaient qu’une quarantaine d’années plus tôt, la comtesse Tcherinov avait été chanteuse lyrique et qu’elle avait créé l’un des opéras français les plus célèbres, "Lakmé"?

En ce week-end où est repris ce chef-d’œuvre sur la scène de l’Opéra de Nice, évoquons la mémoire de la cantatrice américaine devenue aristocrate russe après avoir épousé le comte Tcherinov, médecin de l’écrivain Tolstoï et du compositeur Tchaïkovski.

Adulée par Alphonse de Rothschild

Elle naquit à New York en 1858 sous le nom de Marie Van Zandt. Venue en Europe dès l’âge de 16 ans, elle étudia le chant à Milan puis fut propulsée à l’âge de 21 ans sur la scène de l’Opéra de Paris. Elle conquit aussitôt la capitale française. Le banquier Alphonse de Rothschild est fou d’elle. Il loue tous les soirs les deux premiers rangs du parterre afin d’y installer ses amis et sa famille.

Et voilà que le 14 avril 1883 est créé le chef-d’œuvre "Lakmé" de Léo Delibes à l’Opéra-Comique de Paris. On y entend pour la première fois son célèbre "Duo des fleurs" et son fameux "Air des clochettes". C’est elle, Marie Van Zandt qui joue le rôle de la prêtresse hindoue. Qu’elle devait être charmante, cette Lakmé de 22 ans! Sa silhouette et sa voix éthérée faisaient chavirer la salle. "Elle apparaissait sur scène et je ne sais quelle séduction étrange émanait de sa petite personne, nous attirant par un alliage singulier de naïveté et d’espièglerie", écrivit le musicologue Henri de Curzon.

La création de "Lakmé" fut un triomphe. Mais le succès monta à la tête de Marie. Elle commença à multiplier les caprices. Quelques jours après la première, elle annule une représentation sous prétexte de maladie. Or, le même soir, elle se produit dans un gala mondain. On lui avait proposé un cachet supérieur à celui de l’Opéra-Comique. Cela ne se fait pas!

L’année suivante, le 9 novembre 1884, elle eut une étrange entrée en scène lors d’une représentation du "Barbier de Séville" de Rossini. Elle était ivre, chancelait, titubait devant le public. On dut baisser le rideau. Certains journalistes évoquèrent une prise excessive de calmants pour combattre le trac. Le scandale agita la presse durant plusieurs semaines.

Violente bagarre

Quatre mois plus tard, Marie Van Zandt reprend "Lakmé". Le public ne lui a pas pardonné son funeste "Barbier de Séville". Une manifestation est organisée contre elle. Dans la rue, devant l’Opéra-Comique, on se bat entre policiers et étudiants.

Selon le journal Le Petit Parisien, il y eut un millier de personnes dans la rue. Marie Van Zandt donna sa démission, décida de ne plus chanter à Paris. En revanche, elle reprit "Lakmé" sur les plus grandes scènes d’Europe, notamment en Russie à Saint-Pétersbourg, de 1885 à 1891. C’est à cette occasion qu’un homme se présenta dans sa loge. "Je veux être votre Gérald", lui dit-il, faisant allusion à l’amant de Lakmé dans l’opéra. "Je suis le comte Tcherinov, médecin à la Cour de Russie." Il avait belle allure, le comte russe! La cantatrice de 30 ans ne résista pas à son charme.

L’histoire tourna mieux que dans l’opéra, le comte et la cantatrice se marièrent avec l’assentiment de la Cour impériale russe. L’union dura vingt ans.

Le comte mourut en 1908.

Amie de la grande-duchesse

Devenue veuve, Marie se retira à Cannes. Elle participa à la vie mondaine de la ville où la colonie russe était abondante depuis la venue en 1879 de la tsarine Maria Alexandrovna, épouse du tsar Alexandre II. Le grand-duc Michel, petit-fils du tsar Nicolas Ier. y tenait une place importante. C’est lui qui inaugura le golf de Mandelieu et participa financièrement à la construction de l’église orthodoxe.

On apercevait sur la Croisette la silhouette de femme en noir de la comtesse. On la voyait au Casino municipal – lequel se trouvait à l’époque à la place de l’actuel Palais des Festivals. Elle était amie de la grande-duchesse Anastasia petite fille du tsar Nicolas Ier de Russie et sœur du grand-duc Michel, qui la recevait dans sa villa Venden.

Dans une chronique du Figaro, en 1916, on décrit la comtesse Tcherinov aux côtés de la grande-duchesse Anastasia lors de l’inauguration de l’"Hôpital russe" de Cannes, ancien "Hôpital Continental", en compagnie du général de Castellaz, de l’archiprêtre Ostrooumoff, de M. Jarames, vice-consul de Russie. C’est dans cet hôpital qu’elle mourut à l’âge de 61 ans "des suites d’une longue et douloureuse maladie", comme écrivit la presse de l’époque.

Ses cendres furent transférées au colombarium du cimetière du Père Lachaise à Paris.

On n’entendrait plus tinter la voix de la soprano devenue comtesse " le long des lauriers roses, rêvant de douces choses", ainsi qu’on le chante dans "Lakmé", dans "L’air des clochettes"…

Photo DR.
L’affiche de la création de Lakmé. Photo DR.