Madagascar
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Culture de rente : Vanille de Vavatenina, la réalité de l’épice du « gôdram–potaka »

Antoine Ratovoson, planteur de vanille dans le district de Vavatenina

Cette sorte de mythe, comme quoi, la vanille est à la fois le cœur, le poumon et la colonne vertébrale des régions productrices de cette épice à Madagascar est moins imposante dans le district et commune de Vavatenina. Un mythe renforcé par la politisation, le désenclavement et cet imaginaire exotique, vestige parfois crasseux de la colonisation. Culture de rente, économie villageoise, traditions saisonnières… Vavatenina loin des clichés. 

Antoine Ratovoson se fait désirer. Ce jour de fin juillet, quand deux individus sont venus le chercher à Morafeno Maromitety. Localité cartographiée entre Antsikafoka et Vavatenina sur la Route Nationale 22. Un axe submergé par une végétation abondante, une rivière vigoureuse et des monts imposants. 

Antoine Ratovoson a toutes les raisons de se méfier de chaque étranger le cherchant dans son village. Tout d’abord, il est responsable qualité au sein de la coopérative « Fanohana », siégeant à Fénérive–Est spécialisé dans les épices, vanille, poivre, girofle…

Ensuite, la campagne est ouverte. De Toamasina, le grand port de l’est, jusqu’à Sambava, dans le triangle du nord, les milliards d’ariary affluent. Attirant aussi les convoitises. Malin, le bonhomme descend discrètement, en contrebas, vers l’épicerie de la rue d’en face. 

Discute avec des gens tout en épiant de loin les deux individus. Après quelques minutes d’observation, il décide de s’approcher. Présentation faite, il s’étale sur la situation de l’or vert dans la région. 

« Vous savez, la région Analanjirofo a encore 60 % de stock de vanille préparée de l’année dernière, de 2021. Faute de débouchés », révèle–t–il. Face à la baisse des prix du kilo de vanille verte, la base productrice opte pour la stratégie de rétention. 

Aucune raison de sauter au plafond, les options sont aussi nombreuses. Le girofle et sa stabilité leur ont permis de sauver les meubles il y a quelques années, quand les prix ont chuté. Cependant, la « liane » reste le plus rentable lors des jours meilleurs. 

Si, vers la fin de l’ère Didier Ratsiraka et le règne de Hery Rajaonarimampianina affichaient des pics ; la présidence de Marc Ravalomanana et celle d’Andry Rajoelina de ces deux dernières années ont été catastrophiques. 

Le planteur énumère. « Du temps de Ravalomanana, le kilo de la vanille verte avait baissé jusqu’à 1 500 ariary ». Chez les producteurs de la « liane bienfaisante », l’ancien chef de l’Etat a été le pire cauchemar. 

Le record de hausse a été en 2018, le kilo de la non–préparée valait 225 000 ariary. À partir de 2019, le prix a baissé jusqu’à atteindre les 75 000 ariary pour la valeur légale. Mais avec un surplus, jusqu’à plus de 60 tonnes, rien que pour dix villages dans l’Analanjirofo. 

Les spéculateurs et les profiteurs ont une grande marge de manœuvre. Pour cette saison 2022, la situation est assimilée à celle de 2008. « Il sera difficile pour Rajoelina de gagner chez nous pour 2023. Hery Rajaonarimampianina garde la faveur », s’accorde un jeune de Mananara–Avaratra. 

C’est dire que tout tourne autour de l’épice. Décision politique, fête traditionnelle, vague de transhumance… Le calcul est limpide. Le mandat d’un président de la République est jugé par rapport au prix de la plante non traitée durant son exercice.  

Cette année, si les voyants restent les mêmes, la région risque d’adopter une démarche radicale. D’un ton égal, Antoine Ratovoson est sans équivoque. « Nous couperons seulement les pieds de vanille, nous avons encore le girofle, le poivre et d’autres ».

Cette déclaration rabat tout le mythe entourant l’épice, dans cette région du moins. Pour celui venu de la ville, de la capitale de surcroît, s’attendant à des déclarations aux abois des cultivateurs par rapport au marché actuel. Il n’en est rien. 

Les planteurs comme Antoine Ratovoson ont d’autres cartes dans leur jeu. En somme, elle est loin d’être leur pièce maîtresse. Ces paysans n’ont aucun remord à retirer les plantes de terre et se tourner vers d’autres filières. Beaucoup plus rentables.  

Loin d’être un secret, le prix d’achat imposé par des acheteurs sans scrupules peut baisser jusqu’à 25 000 ariary dans le district. Dos au mur, les planteurs se soumettent aux collecteurs avides. À se demander, comment s’en sortira ce butin pour l’exportation.  

La coopérative « Fanohana » a bénéficié d’un quota de 14 tonnes. Pour plus de 300 membres éparpillés dans l’Analanjirofo. Acheter à 75 000 ariary le kilo, trois villages suffisent à atteindre cette demande.  

Si les décisions étatiques sont en première ligne de la baisse du prix et de cette spéculation gangrène pour les planteurs, la maire Marie Aurélie Volanimanana apporte une autre raison. « Beaucoup de facteurs, mais le premier est le mauvais état des routes ».   

Quoi qu’il en soit, cet interventionnisme de l’Etat pénalise sur le temps. « Ici, des cultivateurs sont déjà prêts à vendre de la vanille verte au mois d’avril. D’autres au mois de mai. Pourtant, les dirigeants ont décidé d’ouvrir la campagne au mois de juillet », regrette Raymond, un père de famille cultivateur de Vavatenina. 

Vient l’inlassable rengaine. « Pourquoi, ne pas laisser aux acteurs de la filière d’ici de décider de la date d’ouverture du marché ? Les décisions centrales ne prennent pas toujours en compte les réalités de chez nous ». Un sentiment partagé par la majeure partie des planteurs.   

Le reste dépend des planteurs, une partie préfère se tourner vers la vente illégale par manque de patience et par nécessité. D’autres préfèrent attendre le début de la campagne, quitte à voir la qualité du produit se détériorer. Sans oublier les vols de stock.    

Vavatenina et la vanille. Cette filière s’est développée grâce aux travailleurs originaires de Vavatenina recrutés dans le nord, Mananara Avaratra, Sambava, Antalaha, Maroantsetra… De retour chez eux, ils ont appliqué les techniques acquises dans les champs.   

« Avant, il y avait des petits planteurs, pas aussi nombreux qu’en ce moment. C’est à partir de 2014 que le nombre a explosé. Rares sont les familles qui ne possèdent pas une plantation dans le district aujourd’hui », selon toujours l’élue. 

Dans les années ’90 et 2000, le district atteignait avec difficulté les cinq tonnes par saison. En 2022, il totalise plus de 100 tonnes. « C’est vrai, il y a une surproduction », concède néanmoins le responsable qualité de Fanohana. 

Le paradoxe est qu’avec ce surplus, le nombre d’agréments a été réduit de manière drastique cette saison. En 2017, plus de 300 entreprises l’ont obtenu. En 2019, ce chiffre a baissé à environ 200. En 2021, l’Etat a octroyé moins de 100 agréments. 

Depuis 2014, Vavatenina s’est transformée. Une sorte d’urbanisation a pris place. Un notable du coin s’en souvient. « Avant il n’y avait presque pas d’habitation en dur. Ensuite, un commerçant originaire d’Ifanadiana a commencé à en construire un, cela a été suivi ».

Les premières maisons à étages ont fait leur apparition dans la foulée. Maintenant, un terrain en bord de l’axe principal est valorisé à 600 000 000 d’ariary. Un terrain de plantation de vanille inaccessible en véhicule, dans la brousse, se négocie à partir de 5 000 000 ariary, même moins.   

Ce 23 juillet, un « karaoké » a ouvert ses portes. Grande bâtisse pouvant contenir plus de 100 personnes. Avec tables, écran géant et musique pétaradante. En hauteur de l’avenue centrale, sur la sortie vers Anjahambe, trois autres établissements de vêpres chauffent déjà les alentours.

La nuit venue pour le lancement officiel, la jeunesse de la ville y accourt. Il y a encore une douzaine d’années, ce genre d’établissement était un luxe. Les propriétaires espèrent aussi de belles recettes, les quelques tout–terrains double cabine emmenant des collecteurs sillonnent les rues. 

La frustration des vanilliers vient surtout du temps et de l’argent sacrifiés, au détriment de la sécurité, durant les étapes de la production. « Dès que les bourgeons sortent de terre, il faut dormir dans les champs en forêt, jusqu’au mûrissement ». Des mois sous la pluie, le froid et dans la boue. 

Puisque ces malintentionnés sont de vrais rapaces. Certains enlèvent les premières pousses et les replantent sur leur terrain. D’autres attendent quelques mois dès que la vanille verte est vendable, subtilisent les récoltes et les fourguent après une maturation forcée. 

Dès lors, entre le mois de février et la clôture de la campagne, les machettes sont les meilleures alliées. Pas de discussion, un simple étranger égaré dans un champ peut recevoir une bonne saignée sans attendre une explication. 

Transhumance. Jusqu’à Mananara Nord, aux portes de la région Sava, la philosophie est à peu de chose près la même. « Si vanille décroît, girofle et compagnie sont là ». Fredinho y est originaire, il vît à Antananarivo. Mais en cette période, ces parents exigent qu’il rentre.

« Le marché est ouvert, alors, j’accoure pour aider mes parents parce que c’est assez difficile. Je ferai office de garde du corps, de démarcheur, de docker », avance–t–il. Sa famille doit rejoindre des communes à quelques heures de marche pour vendre leur récolte. 

Et de continuer. « Les problèmes sont ces soi–disant collecteurs et commissionnaires. Ils viennent dans votre village, et proposent d’acheter bien en dessous du prix édicté. Les planteurs refusent. Quand ces derniers rejoignent alors les lieux d’achat, ces bandits leurs tendent une embuscade et volent la marchandise ». 

À ce moment, les morts peuvent se compter. En général, les paysans se retrouvent désarmés face à des individus ayant des armes à feu. À un tel point que la culture de la vanille y est une activité familiale. « Peu de cultivateurs recrutent des employés externes, par souci de sécurité », toujours d’après la maire. 

Ces détrousseurs sont un casse-tête pour les autorités judiciaires d’Analanjirofo. Jusqu’à présent, elles peuvent encore se féliciter de tenir la région. 

Jusqu’à frôler la paranoïa. Tout se fait en famille. Il y a des secrets à protéger. Tout comme les champs. Il faut avoir l’œil aguerri pour détecter une plantation en pleine forêt. La surface est cultivée et est entourée par un taillis épais. 

Volontaire ou pas de la part des propriétaires terriens, elle est souvent inaccessible à moto ou en voiture. Marcher au moins quarante-cinq minutes. Supporter la boue et la pluie. Traverser une rivière à pied en pensant aux crocodiles. Comme première mesure de sécurité, il n’y a pas mieux.    

« Nous connaissons toutes les voies de sorties et d’entrées. Nous savons où iront fuir les bandits s’ils agissent », révèle un responsable de la sécurité publique locale. Entre les malfrats et le « marché noir », celle–ci doit avoir une bonne maîtrise du terrain.

À cause de la surproduction, les spéculations en tout genre et les magouilles pullulent. Pourtant, la ristourne prélevée par la commune de Vavatenina reste son privilège par rapport à cette filière. Certains planteurs usent de ruse pour échapper à cette taxe. 

Contournant les barrages routiers, les négociations se font en forêt loin des regards. Marché parallèle, illégal et particulièrement dangereux bien que l’histoire de la vanille soit assez récente dans le district de Vavatenina. 

Les fausses déclarations sont scrutées par les forces de l’ordre et les responsables ministériels. « Il se peut qu’un planteur déclare avoir payé pour 200 kilos, pourtant il transporte 500 kilos », ajoute le responsable.    

Calendrier culturel et cultural. L’apport de la transhumance économique a accompagné ce « boom » de l’or vert. Ces vendeurs de consommables en tout genre, de la douille d’ampoule au lecteur carte SD, viennent pour la plupart de l’aire géographique du Vakiniadiana, Vakinankaratra et d’Ifanadiana. 

Selon la légende locale, sur la quinzaine de poids lourds du trajet Vavatenina/Toamasina, un seul est la propriété d’un natif de la ville. Tout comme les taxis–brousses. « Ils sont aussi là pour le business de l’or », met en avant le notable.

En sillonnant les alentours de Vavatenina en ce mois de juillet, depuis Vohilengo, jusqu’à Marofinaritra, sur le parcours menant à Anjahambe, les villages organisent le « Tsaboraha ». Les vols à la tire s’immiscent aussi.  

Une tente au milieu de la petite place du hameau, un groupe électrogène, des animateurs Djs, quelques bancs, beaucoup d’alcool et le tour est joué. « C’est une fête traditionnelle pour fêter de nombreux événements, qu’ils soient collectifs ou individuels », Richard, dignitaire ancestral de Nosibe.

En malgache, il est le « tangalamena ». Son cri de désespoir résume le phénomène dont toute la Grande Île ou presque souffrirait, Vavatenina ne fait pas exception. « Ils sont en train de voler nos terres. Du jour au lendemain nous nous retrouvons devant le tribunal », regrette–t–il. 

Les terres des paysans sont en train de tomber petit à petit entre les mains des étrangers, pour la plupart, selon les dires des autochtones. Derrière tout cela, l’or et les innombrables potentiels régionaux. Le risque de cet engouement se situe dans la faune et la flore. 

Les gardiens de ces temples de la nature comme Richard en sont particulièrement jaloux. Éternel villageois, dont la notion d’économie se base sur l’intérêt collectif. Au-delà de cela, Analanjirofo est réputé pour ses nombreuses espèces endémiques.

Les « guerres de champ » sont devenues monnaie courante. Souvent, ce sont les moins aptes financièrement et alphabétiquement qui sont les perdants. Les terrains cultivés de Nosibe font maintenant l’objet de procès à Fenoarivo Atsinanana, chef–lieu de région. 

Le document roi. À Toamasina, dernière destination de la vanille avant d’atterrir chez les trois principaux importateurs dans le monde, les Etats–Unis, la France et l’Allemagne. L’enjeu est tout autre. Le maître-mot est la certification. 

Ici, les langues sont plus loquaces. Au contraire des agriculteurs de Vavatenina, aussi soupçonneux qu’un renard. « Les vanilles d’une dame malgache sont coincées dans un port en Asie », révèle un connaisseur du circuit de Toamasina. 

Problème de certification. C’est le graal dans la filière. Il garantit le respect des normes internationales. Dès lors, il acquiert le statut de produit exportable. À Madagascar, deux certifications sont disponibles. La plus prisée est la « bio ». 

Par exemple, Ecocert, une entreprise française est chargée de la délivrer. Elle ferait donc le beau temps chez les acteurs de l’or vert. Aux dernières nouvelles, des pays exportateurs exigent d’autres normes. 

La Chine serait l’un d’eux. Celle-ci étant aussi productrice. Des pays d’Europe envisagent aussi de modifier leur position. Et c’est un début. La concurrence internationale a l’air d’être la trame de fond de tout ce ballet de certification. 

Dont le coût s’étale sur une fourchette de 350 à 800 euros par an. La montée des pays producteurs place la vanille malgache dans l’économie mondiale. Garantie de fiabilité, la certification doit être réalisée par une entreprise privée. 

Puisque exporter l’épice n’est pas donné à tout le monde. « Quelques grammes de trop, des retards de devises et d’autres, cela peut valoir le retrait d’un agrément ou coûter des pénalités pour la saison prochaine », souligne un exportateur.  

Chez Antoine Ratovoson, la crainte se situe maintenant ailleurs. Le girofle pourrait subir le sort de la vanille dans les prochaines saisons.
Maminirina Rado