Mali
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« France et Mali : il faut ouvrir des fenêtres », demande Jean-Louis Sagot-Duvauroux

Voilà cinquante ans que je vis entre France et Mali, où je suis actuellement. Quelque chose de nouveau est en train de se passer qui peut éclairer la nature des tensions entre les deux pays sur les partenariats culturels. Je soumets ces quelques vignettes à votre réflexion, comme les pièces d’un puzzle inachevé, mais qui, je l’espère, donnent sur le vif quelques points de repère suggestifs.

Éclats de rire

Souvent, quand on évoque les décisions récemment prises par le pouvoir français pour « punir » le Mali et ses voisins, et surtout quand on cite les justifications martiales qu’en donne Emmanuel Macron, la réaction est un grand éclat de rire. Suppression des visas mais olympienne affirmation qu’il « n’est pas question d’arrêter les échanges avec les artistes »… tandis que les visas leur seront refusés : éclat de rire. Après avoir clamé, déclamé, réclamé le contraire, Macron annonce le rappel de l’ambassadeur de France à Niamey et le rapatriement des soldats français qui y sont cantonnés : éclat de rire. Il n’est pas anodin et en tout cas nouveau que les « punitions » de l’ancien occupant colonial provoquent non la plainte, mais l’ironie. Le rire plutôt que le gémissement en réponse aux morsures d’un postcolonialisme édenté ?

« France dégage »

Autour de moi, une vive exaspération surgit dès que le pouvoir français s’adresse à l’Afrique en donneur de leçons, en modèle universel. Des manifestations mobilisent des milliers de personnes, jeunes pour la plupart, souvent sous le slogan « France dégage », pour donner de la voix à cette exaspération. À Bamako, beaucoup de ces manifestations se tiennent autour du monument de l’Indépendance, qui jouxte l’Institut français du Mali. Jamais ces vigoureuses démonstrations populaires ne se sont tournées contre cette institution culturelle. Ni les Français ou les Françaises qui vivent au Mali, ni la France même, le pays-France, ne provoquent d’acrimonie.

« Junte » ?

Le pouvoir français s’obstine à utiliser un verbiage hautain vécu comme insultant. Exemple : les autorités de transition – présidence, gouvernement, Conseil national de transition, Cour suprême – sont systématiquement désignées sous le qualificatif dépréciatif de « junte » pour désigner ce que l’immense majorité des Maliens reconnaissent comme des autorités de transition.

Reconstruction de l’estime de soi

Dans le Mali d’aujourd’hui, quand quelque chose ne fonctionne pas, on dit souvent : « Mali tè wa ? » (est-ce que ce n’est pas le Mali ?). Réponse désabusée : « Mali do » (c’est bien le Mali). Si au contraire on découvre un emblème de l’efficacité « moderne », on dira souvent : « Tubabu tlala ! » (le Blanc en a fini, sous-entendu : il est la pointe du progrès). La restauration de l’estime de soi est un enjeu majeur de la « refondation » en cours. À défaut, une grave dépression éthique empoisonne les relations humaines, la capacité à se faire confiance, à agir pour le bien collectif. L’étendue de la corruption en est la manifestation la plus visible et la plus délétère : je ne suis pas fait pour être grand, je vais exercer mon expertise dans la bassesse. Mais les relations et les projets interpersonnels n’y échappent pas. Immense chantier où les changements à la tête du pays ne peuvent jouer qu’un rôle marginal. Chantier balbutiant mais en cours. Chantier en grande partie culturel. Et c’est ce champ d’action que le macronisme diplomatique a délibérément choisi d’affaiblir.

Prometteuse confusion ?

Évoquant le changement de pouvoir au Niger, Rahmane Idrissa, chercheur en science politique, écrit : « Un coup d’État est un échec de la démocratie, non pas au sens où il ferait échouer la démocratie, mais au sens où il répond à un échec de la démocratie. » Cette remarque résume bien la nature des ruptures qui aujourd’hui secouent l’Afrique. Les institutions copiées-collées sur le « modèle » occidental ont montré leur inefficacité dans les sociétés nées des histoires de l’Afrique. Les invocations stériles à un « retour » à « l’ordre constitutionnel normal », à « l’État de droit », à « la démocratie » rappellent trop le désordre constitutionnel, l’État de non-droit et l’arbitraire généralisé d’avant la rupture. Oui, ces ruptures et la forme de coups d’État militaires que souvent elles prennent débouchent sur une confusion institutionnelle et civique dont il est bien difficile de deviner l’issue. Mais le pire n’est pas certain et la conversation culturelle qu’on veut enrayer est un vecteur essentiel.