Mauritius
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80 ans depuis la mort d’Anjalay Coopen : qu’en est-il de la lutte des classes à Maurice ?

Eclairages

Par A. Bartleby

Les commémorations des 80 ans de la mort d’Anjalay Coopen étaient nombreuses et diverses. Cette figure iconique de la lutte ouvrière à Maurice continue tout aussi bien d’alimenter l’imaginaire des mouvements syndicaux que celui des partis politiques et, plus récemment, des mouvements féministes.

Alors que nous avons commémoré les 80 ans d’un drame qui démontre l’exploitation de l’homme par l’homme dans les conditions de la colonialité mauricienne, il aurait été pertinent de montrer à quel point la figure d’Anjalay est toujours d’une actualité brûlante et que les inégalités actuelles trouvent leurs sources dans les inégalités coloniales. P – Zinfo Moris

C’est la force universelle des figures comme Anjalay Coopen, inscrites dans des logiques diverses de la martyrologie, qui répondent à des problèmes divers. L’appropriation féministe d’Anjalay en est un exemple marquant car cette lecture historiciste est contemporaine et ne correspond pas forcément aux revendications de l’époque. Mais c’est là justement que nous voyons comment les figures et les combats traversent les âges et transcendent les époques afin de se connecter aux enjeux actuels.

C’est, à la lettre ce que l’on nomme l’Histoire, ce qu’il ne faut pas confondre avec des chroniques historiques. Nous avons trop souvent cette tendance de confondre l’Histoire et les chroniques historiques à Maurice. Ceci découle d’un manque flagrant de connaissances et de culture historiciste, pour ne pas dire de manque de savoir sur ce qui constitue le fondement même de l’esprit mauricien.

Nous avons ainsi tendance à parler des évènements sans jamais leur donner du sens. Le cas des commémorations rendant hommage à Anjalay s’inscrivent clairement dans cette ligne. Il y a eu des dépôts de gerbe et des discours qui ont parlé du fait qu’elle faisait partie d’un soulèvement de travailleurs et qu’elle fut assassinée avec trois autres personnes. Les faits sont corrects, surtout quand on rajoute les dates. Mais qu’avons-nous vraiment dit lorsque l’on a dit cela ? En d’autres termes, quel est le sens de l’évènement qui s’est déroulé sur la propriété de Belle Vue Harel, il y a 80 ans de cela ?

Les historiens de l’économie et de l’Histoire du capitalisme opèrent une distinction critique entre ce qu’ils nomment l’infrastructure et la superstructure. L’infrastructure se rapporte à tout un fondement où se jouent les rapports de pouvoir entre, d’un côté, le capital et, de l’autre, le travail, rapport qui est généralement lu sous le prisme de l’exploitation du travail par le capital, et qui constitue la manière dont la production sociale s’organise. La superstructure se réfère, elle, à tout l’ensemble des pratiques, des institutions, des croyances, des représentations et des idéologies qui justifient l’ordre social établi par l’infrastructure.

Ainsi ce qui est critique dans les évènements de Belle Vue Harel relève justement des rapports de pouvoir de l’infrastructure économique de l’île Maurice coloniale, et notamment la fonction de la division du travail et de la division raciale dans la constitution des rapports de force qui étaient constitutifs de la relation capital/travail. En d’autres termes, l’infrastructure économique du monde sucrier était une division entre les dominants et les dominés, où les dominants étaient les propriétaires du capital et les dominés étaient la force de travail qui permit la mise en place d’une production et d’une industrialisation de l’île par le sucre. Ce rapport était belliqueux et violent. Or, c’est dans ce contexte que le soulèvement des ouvriers de la plantation eut lieu. Et l’objectif du soulèvement était de faire bouger les lignes que constituent ces rapports de pouvoir en réclamant plus de droits et des meilleures conditions de travail.

C’est là que les évènements de 1943 acquièrent du sens et que l’assassinat d’Anjalay Coopen en fait une figure de la lutte ouvrière. C’est là que l’Histoire prend son sens et nous donne de quoi interpréter le passé mais également le présent.

Ainsi tout hommage à Anjalay doit questionner ce que fut le monde de la plantation sucrière, et ce qui perdure de ce monde aujourd’hui. Et tout hommage doit questionner cela dans les conditions de la lutte des classes et de la division raciale qui étaient constitutives de l’ordre colonial. Le rapport à la race se trouve au cœur même de la division entre dominants et dominés dans l’espace de la plantation sucrière. Il y a, de ce point de vue, un lien intime entre l’esclavage et l’engagisme : il s’agissait des deux formes historiques du travail et de son exploitation, et ces deux formes du travail se fondaient dans un rapport différentiel entre les dominants blancs, d’un côté, et les dominés non-blancs, de l’autre, où le dénominateur essentiel était justement la race (d’où l’importance absolue de la barrière de couleur dans le Code noir).

Ainsi, l’Histoire du capitalisme mauricien – qui est la seule et véritable Histoire de notre pays – se doit d’être questionné à partir de la lutte des classes et du racisme structurel qui opérait dans l’infrastructure économique. Elle se doit d’être questionnée à partir des systèmes esclavagistes et engagistes, mais aussi (surtout même) à partir des résistances au pouvoir colonial et plantocratique. Ce sont ces résistances qui ont, en réalité, un sens politique. Et là encore, il y a une ligne intime qui existe entre le marronnage et la lutte des travailleurs engagés à Maurice. Ce sont là deux formes de résistance à un ordre social et raciste vécu comme insupportable et intolérable, et ces deux formes de résistance tracent une ligne historique intimement connectée et inséparable l’une de l’autre.

Mais il ne faut pas s’arrêter là. Ce n’est là qu’un préambule, qu’un début, qu’une introduction.

L’état de la lutte des classes et du racisme à Maurice

La vraie question que doit soulever un hommage à Anjalay est la suivante : quel est aujourd’hui l’état de la lutte des classes et du racisme à Maurice ? Où en sommes-nous politiquement dans les réponses aux revendications de progrès et d’égalité ? Où en sommes-nous politiquement face au désir légitime d’émancipation et de rejet de l’exclusion et de la pauvreté ? Où en sommes-nous dans la volonté, déclarée de l’indépendance, de la démocratisation de l’économie ?

Alors que nous avons commémoré les 80 ans d’un drame qui démontre ce qu’est l’exploitation de l’homme par l’homme dans les conditions de la colonialité et du racisme à l’île Maurice, il aurait été pertinent de montrer à quel point la figure d’Anjalay Coopen est toujours d’une actualité brûlante et que les inégalités actuelles trouvent leurs sources dans les inégalités coloniales ; elles en sont même les conséquences de cette longue et douloureuse histoire. De ce point de vue, les divers hommages ont accouché d’un vide sidéral qui relève d’un embarras national qu’il serait judicieux de ne plus reproduire. Read More… Become a Subscriber

Mauritius Times ePaper Friday 29 September 2023

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