Mauritius
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« Jugnauth ira certainement au bout de son mandat

Interview : Jocelyn Chan Low

Je vois mal ses lieutenants le déserter. Ils ne l’ont pas fait pendant l’affaire de sniffing ; ils sont silencieux sur l’affaire Franklin »

* ‘Un observateur politique impartial ne peut que constater l’impopularité grandissante du gouvernement… il est aussi vrai que l’opposition a un déficit de crédibilité’

* ‘Que veut-on offrir comme « role model » aux jeunes ? Angelo Mars de Résidence Barkly, devenu lauréat, ou un petit caïd de drogue’

L’historien et observateur politique, Jocelyn Chan Low, s’intéresse au trafic de drogue et aux répercussions sur notre pays et sa population, plus spécifiquement les jeunes. De nombreux facteurs ont contribué pour arriver à une situation si explosive aujourd’hui. En outre, sachant que les informations circulent à un rythme endiablé sur les réseaux sociaux, l’image du pays en souffre beaucoup. Y a-t-il de l’espoir pour que les citoyens mauriciens retrouvent leur paradis d’antan 55 ans après l’indépendance ? La classe politique va-t-elle procéder à une auto-évaluation pour corriger ses défauts et ses dérives ?

Mauritius Times: C’est l’affaire Franklin et ses ramifications qui dominent l’actualité ces jours-ci. Les activités du ‘Roi de l’Ouest’ soulèvent des interrogations importantes quant à la façon dont cette affaire a été traitée par les autorités compétentes. Quels sont les éléments les plus troublants dans cette affaire, selon vous?

Jocelyn Chan Low: L’élément le plus troublant dans toute l’affaire, d’un point de vue institutionnel, du fonctionnement de notre régime démocratique, du respect du ‘rule of law’ et de nos engagements internationaux, c’est sans conteste la non-transmission du rapport de la commission rogatoire concernant deux prévenus vers les autorités réunionnaises de la République de France.

Il faut ajouter à cela le silence troublant, face aux interrogations légitimes du public mauricien, des autorités locales qui se réfugient derrière la confidentialité des échanges entre les autorités des deux pays alors que le procès a été déjà été instruit et les deux personnes jugées et condamnées.

Shakeel Mohamed a parfaitement raison de réclamer l’institution d’une commission d’enquête présidée par un juge du Commonwealth pour faire la lumière sur la question car on ne sait jusqu’ici à qui incombe la faute – au judiciaire ou au bureau de l’Attorney General ou encore à une autre institution, le ministre des Affaires étrangères s’étant dédouané dans sa conférence de presse.

* Des révélations plus détaillées sur des personnalités du pays devraient sortir tôt ou tard, dit-on, et seraient plus explosives que tout ce qui a été rendu public jusqu’à présent. Ce sont certes des rumeurs véhiculées sur les réseaux sociaux, mais ce trafiquant présumé a dû bénéficier de protection en haut lieu – institutionnel ou politique – pour qu’il ne soit pas inquiété, non?

D’abord, d’un point de vue historique, le trafic de stupéfiants d’aujourd’hui ressemble étrangement à la traite illégale d’esclaves vers l’île Maurice de 1810 à 1825 quand environ 75,000 esclaves furent introduits frauduleusement dans l’île. La topographie de l’île, avec ses nombreux mouillages, notamment à la côte ouest ou sud-est où des navires négriers pouvaient accoster et transférer leur cargaison humaine sur les pirogues de pêcheurs complices avait certes facilité ces transactions interdites.

Mais comme le soulignaient les observateurs de l’époque et comme l’ont montré les historiens depuis, des infractions à la loi de cette ampleur n’auraient pu être commises sans la complicité et la connivence d’officiers véreux se trouvant dans un grand nombre d’institutions, des commissaires civils aux autorités policières, voire des membres du judiciaire de l’époque.

D’ailleurs, le Général John Gage Hill alla jusqu’à suspendre Georges Smith, le chef juge de l’époque. Mais certains historiens à l’instar de Deryck Scarr et de Anthony Barker n’hésitent pas à pointer du doigt le gouverneur d’alors, Sir Robert Farquhar lui-même et ses associés pour avoir non seulement toléré mais aussi bénéficié financièrement de cette traite négrière illégale, ayant acquis des propriétés dans l’île, à travers des prête-noms et utilisant ainsi la main-d’œuvre servile illégalement importée.

Dans la présente affaire de trafic de drogue, il y a évidemment des rumeurs dans la place publique, amplifiées par les réseaux sociaux. Cela dit, des rumeurs de collusion entre des membres de la classe politique et la mafia de la drogue ne datent pas d’aujourd’hui. On connaît l’affaire des ‘Amsterdam Boys’ de 1985. Ensuite, un député connu à l’époque fut cité dans le rapport Rault sur la drogue. De même, d’autres députés ou candidats à la députation eurent à défendre leur honneur et leur réputation devant les cours de justice suite la publication du rapport Lam Shang Leen. On comprend alors les doutes et les soupçons du public en général bien que rien de concret n’ait été établi jusqu’ici.

Néanmoins, l’existence même de ces doutes, soupçons et rumeurs révèle surtout que notre classe politique est grandement discréditée et dévalorisée aux yeux d’une grande partie de l’électorat. Des membres du public croient que parmi cette classe politique se trouvent des éléments dénués de tout sens moral à tel point qu’ils sont prêts à s’associer avec des marchands de la mort pour des gains pécuniaires, pour s’enrichir. A la veille du 55ème anniversaire de l’indépendance de Maurice, c’est un constat lamentable sur la perception de la classe politique par une partie de la population mauricienne.

* En fait, on a l’impression qu’au regard de tout ce battage médiatique autour de cette affaire, la cible principale n’est pas vraiment M. Franklin, mais bien certains puissants du jour. Qu’en pensez-vous?

Cette impression découle des éléments troublants entourant toute cette affaire qui, du point de vue médiatique, débute avec un clip posté sur les réseaux sociaux alléguant que Bruno Laurette a été piégé et croupit en prison parce qu’il avait évoqué, au cours de son dernier rassemblement , les relations soi-disant ‘troubles’ entre Franklin, décrit comme ‘le roi de l’ouest’ et le patron de la SST.

De là s’ensuivit la fameuse conférence de presse de Franklin et ses accusations contre l’activiste social et les conséquences et rebondissement que l’on connaît, notamment la divulgation que Franklin et un de ses complices allégués avaient été condamnés par la justice réunionnaise le 21 juillet 2021 à 7 ans de prison pour trafic de Zamal mais qu’il n’y avait jamais eu d’extradition et peut-être que ce jugement ne lui a même pas été communiqué !

En outre, non seulement il est toujours en liberté bien qu’ayant fait l’objet, selon la presse, d’un mandat d’arrêt international, son passeport a été renouvelé en décembre 2022 et il a pu voyager vers Madagascar et, à son retour, il n’a pas été arrêté à sa descente d’avion bien qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt de la cour de Bambous !

Ajoutez à cela l’affaire de la commission rogatoire le concernant, nous sommes évidemment devant une série d’incohérences administratives qui devient encore plus intrigant avec les actions jugées tardives de l’Icac contre cet individu – qui dit ne pas savoir lire mais qui comprend le contenu des sms – et qui a pu selon l’icac accumuler autant de richesses en si peu de temps. Où étaient les autorités responsables de faire respecter les lois ou qui avaient à charge d’enquêter sur des suspects, signalés par des autorités étrangères – dans un état dirigé par un Premier ministre qui affirme avoir déclaré la guerre aux trafiquants de drogue au point d’avoir salué la création d’une deuxième unité au sein de la Police, la SST, pour épauler l’ADSU ?

Évidemment, au vu de ces incohérences, il est du devoir du journaliste de creuser au fond de cette affaire pour vérifier si, derrière tout cela, en reliant les points entre eux (connecting the dots), il n’existe pas un système très rodé qui dépasse le cadre de la côte ouest du pays.

* C’est l’ICAC qui mène les enquêtes ces jours-ci; l’objectif principal serait de déterminer s’il y a eu blanchiment d’argent. Mais au regard de ses antécédents, d’aucuns pensent que c’est à craindre que la commission anti-corruption s’occupe de cette affaire. Votre opinion?

Il est vrai que vu le nombre de cas non élucidés et de dossiers qui traînent dans les tiroirs, comme l’affaire Angus Road, la perception que l’ICAC serait qu’une blanchisseuse pour les suspects dans certains cas de blanchiment d’argent ou autre crimes de même acabit a fait son chemin dans la population, surtout que le directeur de l’institution est dorénavant nommé directement par le Premier ministre, la loi ayant été amendée à cet effet.

Mais il faut souligner que les délits de blanchiment d’argent avec des sociétés fictives et nombre de prête-noms ne sont pas si simples à élucider. Je suis loin d’un spécialiste de ‘forensic accounting’ mais c’est un domaine où la coopération de nombre d’institutions est primordiale, d’où les lenteurs et les délais. Il ne faudrait surtout pas mettre en doute la compétence et l’intégrité de tous les officiers de l’ICAC. A mon avis, il faut leur donner le temps qu’il faut pour compléter l’enquête et ne pas faire des jugements hâtifs.

* On ne connait pas encore l’éventail complet des ramifications perverses du trafic de drogue dans le pays ces temps-ci, mais on parle déjà de Maurice en termes de ‘narco-state’. C’est un peu fort quand même, n’est-ce pas?

C’est quoi un état narco ? En fait c’est un terme journalistique qui n’a pas de définition précise. Pour certains, un « narco state » est défini par rapport au poids prépondérant que joue le business de stupéfiants dans l’économie du pays.

Une autre définition a trait au ‘state capture’ par des narco trafiquants qui, de ce fait, exercent un contrôle sur la quasi-totalité des institutions, le gouvernement, les partis politiques, la police, le judiciaire, l’administration, etc.

Qu’en est-il de Maurice ? Les dernières saisies de drogue évaluées, non en millions mais en milliards de roupies, à l’instar de l’affaire de la tractopelle, ou des bonbonnes de gaz trafiquées nous donne une idée des sommes en jeu. D’où proviennent ces sommes et qu’en est-il de leur blanchiment ? Dans un talk show sur Top FM, Rajen Valayden a évalué le poids de cette économie parallèle à 200 milliards de roupies. Et je suis certain que de nombreux Mauriciens se posent beaucoup de questions sur ces signes ostentatoires de richesse dans le pays qui ne cadrent pas avec le PIB déclaré de Maurice.

Quant à la deuxième définition du « narco state » qui se réfère aux institutions politiques et administratives, il y a plusieurs éléments troublants par rapport à des cas non élucidés jusqu’ici à tel point que beaucoup de Mauriciens, à tort ou à raison, partagent le point de vue du leader de l’opposition sur la question, à savoir que nous sommes sur le point d’en devenir un. Read More… Become a Subscriber

Mauritius Times ePaper Friday 17 February 2023

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