Burundi
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Interview exclusive avec Jean Marie Nshimirimana :« Tant qu’il y a encore des délinquants, il y aura des prisons »

Surpopulation carcérale, des prisonniers détenus loin de leurs familles, rupture de stocks de vivres… Quelques défis auxquels font face les détenus au Burundi. Entretien avec Jean Marie Nshimirimana, président de SPF/Ntabariza, à l’occasion de la journée internationale Nelson Mandela pour les droits des détenus célébrée chaque année le 18 juillet.

En matière du respect des droits des détenus, quel héritage peut-on garder de Nelson Mandela ?

Il est considéré comme un guide, un modèle à suivre, à imiter en matière du respect des droits des détenus. Il a été emprisonné pendant 27 ans suite à son combat qu’il menait contre l’Apartheid. C’est un champion dans la lutte pour les droits de l’Homme, en général, et ceux des détenus, en particulier.

Je me souviens qu’il nous a rendu visite quand j’étais écroué à la prison centrale de Mpimba à Bujumbura. A la sortie de la prison, il a déploré les conditions de détention dans lesquelles se trouvaient les détenus. Il en a profité pour interpeler les autorités burundaises d’améliorer les conditions de détention.

C’est lui qui m’a inspiré à fonder l’association Solidarité avec les Prisonniers et leurs Familles (SPF/Ntabariza qui lutte pour les droits des prisonniers et de leur famille. Je profite donc cette journée pour lancer un appel vibrant à tout le monde à lutter pour le respect des droits de l’Homme sans discrimination aucune qu’elle soit ethnique, raciale, politique ou régionale.

Que cette journée soit une occasion pour tous ceux qui ont le pouvoir de détention de faire un examen de conscience, de faire preuve d’humanité en se rappelant que la « la liberté est la règle, la détention l’exception ».

Quid des droits des détenus ?

Tout détenu jouit d’un certain nombre de droits. Il est vrai qu’il est privé de liberté. Mais, il a droit aux visites par sa famille, de se faire soigner, aux loisirs, au culte, de communiquer. Il a droit d’être assisté et être entendu par un avocat de son choix.

Cependant, il y a quelques manquements tels que des lieux appropriés où une détenue ou un détenu peut s’entretenir avec son conjoint.

Comment appréciez-vous les conditions de détention au Burundi ?

Les conditions de détention restent précaires. La surpopulation carcérale est loin d’être maîtrisée. Le nombre de prisonniers s’élève à plus 12 mille alors que la capacité d’accueil de nos prisons est moins de 5 mille prisonniers. D’où les conditions d’hygiène laissent à désirer.

Pourquoi cette surpopulation carcérale ?

Il y a deux principales raisons. Les prisons ont été construites du temps de la colonisation. Entre temps, la population burundaise a sensiblement augmenté, mais la capacité d’accueil de ces prisons est restée inchangée.

Par ailleurs, il y a le non-respect des procédures et la lenteur dans le traitement des dossiers des justiciables de la part des Officiers de police judiciaire (OPJ) et de certains magistrats.

En outre, les magistrats traînent les pieds dans la mise en application de l’appel du chef de l’Etat. Le président Evariste Ndayishimiye avait recommandé à n’incarcérer que des gens qui ont commis des crimes inamnistiables comme les viols lourds ou les crimes de sang. Mais malheureusement, nous continuons à observer des gens qui sont emprisonnés pour des infractions mineures et pour cause de dettes civiles.

Que faire donc pour désengorger les prisons ?

Il faut qu’il y ait des magistrats qui épousent les idéaux de Mandela. Nous les invitons à ne pas abuser de leur pouvoir. Il faut que ces magistrats mettent en application la recommandation du chef de l’Etat. Trop de prisonniers constituent un fardeau pour l’Etat. Ils sont nourris, logés, soignés par l’Etat et celui-ci perd énormément en terme économique.

Par ailleurs, il faut que les OPJ et les magistrats coupent court avec les vielles et mauvaises habitudes d’emprisonner les gens pour cause de dettes civiles.

Nous invitons aussi le ministre de la Justice et le procureur général de la République à mener des campagnes tous azimuts de libérer les prisonniers ayant commis des infractions mineures et mettre en application le travail d’intérêt général tel qu’il est prévu par le code pénal en vigueur.

Dernièrement, le ministre de l’Intérieur a recommandé aux OPJ de ne plus clôturer à leur niveau les dossiers instruits, mais de les transmettre au procureur de la République. D’après vous, qu’est- ce qui a changé ?

Malheureusement, cette recommandation n’est pas bien respectée. Nous continuons à recevoir des appels des justiciables qui sont détenus dans les cachots des communes ou des commissariats de police pour nous alerter que les délais de garde à vue ont été largement dépassés.

Au moment où je vous parle, je viens de recevoir des appels des détenus en provenance de la commune Nyanza-Lac qui se plaignent que les délais de garde à vue ne sont pas du tout respectés.

Mais, il y a des provinces qui n’ont pas de prison…

Il y a des provinces où il est difficile pour les OPJ de pouvoir transférer les détenus dans les délais légaux auprès des parquets. Ce sont surtout les provinces qui n’ont pas de prison, à savoir Bujumbura, Cankuzo, Cibitoke, Kayanza, Kirundo, Makamba, Mwaro. Dans ces provinces, les détenus sont entassés dans les cachots des commissariats de police ou de la Police judiciaire des parquets (PJP).

Les OPJ se justifient qu’ils mènent encore les enquêtes. Mais malheureusement, ces enquêtes prennent des jours ou des mois. Tantôt elles aboutissent, tantôt, elles n’aboutissent pas. Entretemps, les détenus en souffrent.

Qu’a fait ou que compte faire l’Association Ntabariza face à cette problématique ?

Nous allons collaborer avec le parquet général de la République pour que les dossiers des justiciables soient clôturés et transmis dans les délais au niveau des parquets.

Certains détenus grognent qu’ils sont détenus ou transférés loin de leurs familles. En êtes-vous au courant ?

J’en suis au courant et c’est dommage. Imaginez-vous quelqu’un qui est détenu à Rumonge (sud du pays) alors qu’il vient de la commune Giteranyi (nord du pays), ou à Rutana alors qu’il est de Cankuzo.  Ses proches éprouvent d’énormes difficultés pour lui rendre visite. En termes de frais de transport, quelqu’un pourra dépenser plus de 100 mille BIF.

Donc, une nécessité de construire d’autres prisons ?

Si je dis qu’on construise une prison au niveau de chaque province, on risque de ne pas me comprendre. Pour les défenseurs des droits humains, l’idéal serait plutôt de réduire les prisons. Mais, tant qu’il s’observe encore des délinquants dans la société, ce n’est pas pour demain que les prisons vont être fermées.

C’est pourquoi nous proposons qu’il y ait au moins une maison de détention au niveau de chaque province, mais bien aménagée, pour que les détenus soient gardés près de leurs familles. Ces dernières pourront avoir des facilités pour leur rendre visite.

Pourquoi chaque fois rupture de stocks de vivres au niveau des prisons ?

Nous en sommes au courant. Il faut d’abord comprendre que les prix des denrées alimentaires ont grimpé. Le prix convenu lors de la soumission diffère de celui qui est en vigueur au moment de la livraison. Et le fournisseur se trouve confronter à des difficultés suite à la variation des prix sur le marché.

A cela s’ajoute cette pénurie répétitive de carburant. Par manque de carburant, les fournisseurs ont des difficultés de faire parvenir les vivres dans les prisons à temps. Les conséquences sont énormes pour les détenus.

Et comment y remédier ?

Il faut des stocks de réserves pour palier la rupture des stocks. Je suggère à la direction générale des affaires pénitentiaires de demander de l’aide au HCR ou au PAM pour une éventuelle intervention en cas de rupture.

En outre, il faut une décentralisation pour éviter le monopole dans la fourniture des vivres aux prisons. Il faut un fournisseur pour chaque prison. Ainsi, on pourra contrôler et faire le suivi des fournisseurs pour que ces derniers honorent leurs engagements dans les délais convenus.

Propos recueillis par Félix Haburiyakira