Burundi
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

« La journaliste Floriane Irangabiye est victime des forces hostiles au Président »

Ecrivain, journaliste, fondateur du Groupe de Presse Iwacu, membre de Reporters Sans Frontières, Antoine Kaburahe, aujourd’hui en exil, est un observateur attentif de la politique burundaise et internationale. Il dénonce le traitement inhumain réservé à Floriane Irangabiye et voit des raisons politiques dans l’emprisonnement de la journaliste. Antoine Kaburahe réclame un vrai procès, public.

D’après sa famille et des informations confirmées par plusieurs sources, l’état de santé de la journaliste Floriane Irangabiye s’est dégradé en prison à Muyinga. Comme journaliste mais aussi membre de Reporters Sans Frontières, que vous inspire le cas de cette journaliste ?

Je ne connais pas personnellement la journaliste Floriane Irangabiye. Je ne l’ai jamais rencontrée. Elle appartient à cette jeune génération de journalistes qui a émergé après 2015. Je l’écoutais sur la radio en ligne Igicaniro. Mais en tant que journaliste, épris de liberté, membre de Reporters Sans Frontières, je n’ai pas besoin de la connaître personnellement pour la défendre. Mon engagement est naturel. Et puis, il y a une autre raison, cette fois personnelle : je suis moi-même asthmatique. J’ai toujours en poche une « pompe. » Je sais combien cette maladie fait mal. J’imagine cette jeune femme, suffocant, seule dans sa cellule, et je suis révolté. Tout le monde devrait être révolté. N’ayons pas peur des mots : le traitement réservé à la journaliste Floriane Irangabiye s’appelle tout simplement torture.

Mais elle doit répondre de ses actes !

Oui, les journalistes sont des citoyens, des justiciables comme les autres. Mais j’ai lu l’acte d’accusation. C’est du vent. C’est vide. « Atteinte à la sécurité intérieure du pays », mais vous rigolez ? Floriane Irangabiye, « combien de bataillons ? » Franchement, tout cela est ridicule. Et puis, si un parti au pouvoir, en l’occurrence le CNDD-FDD, avec sa mainmise sur tous les leviers du pouvoir que l’on sait, j’insiste, TOUS les leviers du pouvoir, si un tel parti a peur de Floriane Irangabiye, il y a un gros souci !

Mais l’acte d’accusation n’est pas complètement vide tout de même ?

Franchement, cela ne tient pas la route ! Le 22 août 2022, lors de l’émission « akari ku mutima » sur radio igicaniro, Floriane Irangabiye était sur le plateau avec Maître Janvier Bigirimana et le journaliste Bob Rugurika. Ses invités ont émis des critiques sur la gouvernance au Burundi. J’ai écouté et réécouté l’émission incriminée. Vous savez, si tous les journalistes devaient aller en prison suite aux propos critiques de leurs invités, il resterait très peu de journalistes en activité ! Même le Président de la République dénonce tous les jours la corruption, l’incurie de la justice… Difficile de comprendre que Floriane Irangabiye soit condamnée à 10 ans de prison pour des critiques que l’on entend même de la bouche du chef de l’Etat !

Mais pourquoi alors cet acharnement  envers la journaliste ?

Moi j’ai une lecture politique du cas « Floriane Irangabiye ». Vous savez, quand le Président dit qu’il est « seul » dans son combat, je pense qu’il n’a pas tort ! Je suis sûr par exemple que le Président n’a jamais donné l’ordre que Florence Irangabiye soit inhumainement traitée. Est-ce qu’il y a un meilleur moyen de saper, de ruiner l’image d’un Président et d’un gouvernement, que de le montrer sous l’aspect le plus abject, le plus barbare ? Le président était dans la construction d’une meilleure image de son pouvoir, sa diplomatie commençait à marquer des points… Et patatras ! Ceux qui maintiennent Florence Irangabiye en prison et la traitent ainsi sont en train de réussir le coup. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ce qui se joue à la prison de Muyinga a un retentissement dimension mondial. C’est un désastre pour l’image du pouvoir burundais.

Mais cela profite à qui ?

Mais c’est limpide : à des forces hostiles au Président Ndayishimiye ! Cette jeune femme journaliste qui suffoque dans une cellule de prison à Muyinga ne représente aucun danger, elle n’a aucune force de nuisance. J’ai lu sur les réseaux sociaux, comme pour prouver sa « dangerosité », qu’elle se serait fait un selfie avec Pierre Buyoya. Est-ce un crime ? Et puis, Pierre Buyoya n’est plus ! Lors d’une manifestation publique, Floriane Irangabiye a fait un selfie avec le Président Kagame… Franchement, est-ce que tout cela n’est pas ridicule ? Le Président rwandais a été reçu officiellement au Burundi, la Première dame du Burundi a été à Kigali… Tout ceci montre que le « crime » de Floriane Irangabiye ne tient pas la route.

J’insiste. Cette histoire est purement politique. Cette journaliste n’a jamais été et ne présente aucune menace. Ceux qui la maintiennent en prison ont un autre objectif : ruiner les efforts du Président Ndayishimiye pour normaliser la situation notamment avec les médias. Souvenez-vous, « Jamais sans les médias » est l’objectif du Président.

Vous semblez dédouaner complètement le Président ?

Jusqu’à preuve du contraire, oui. La question est ailleurs. Vous savez, un chef d’Etat n’a pas le temps d’aller dans les détails, il est tellement pris. Il s’en remet au jugement de ses conseillers, services et institutions. Une institution comme la CNIDH aurait dû jouer un rôle clé dès l’arrestation de cette jeune dame. Elle aurait dû prendre position, publiquement, en tant qu’institution indépendante. C’est dans son rôle. Comme le faisait à une certaine époque le courageux Frère Emmanuel Ntakarutimana, un Dominicain qui a été Président de la CNIDH. Sur le cas Floriane Irangabiye, on n’a jamais entendu ni lu le moindre communiqué de la CNIDH. Sous la pression, la commission a sorti un maigre tweet jeudi dernier, après 11 mois de silence. Or, c’est ce genre d’institution qui doit aider le Président. Je suis un lecteur assidu des biographies des hommes politiques. Quand ils racontent leurs années au pouvoir, tous à des degrés divers, évoquent la solitude du chef, l’isolement. Les présidents sont souvent coupés de certaines réalités, reçoivent des rapports biaisés. Quel rapport le Président Ndayishimiye a-t-il reçu sur Floriane Irangabiye ? Je ne sais pas…

Que faire, selon vous ?
.
Je ne suis pas conseiller du Président. Ce qui me semble urgent est de sortir cette journaliste de la prison de Muyinga et l’amener à Bujumbura où elle pourra avoir des soins. Même un chien souffrant on l’emmène chez le vétérinaire. Floriane Irangabiye est une jeune mère de famille. Elle ne mérite pas ce traitement. Cette décision, humaine, ne demande pas grand-chose. Que Dieu la garde, mais vous savez, l’asthme est une maladie dangereuse. Elle peut tuer rapidement. Elle fait des apnées nocturnes, une crise peut être fatale. Si cette journaliste meurt dans sa cellule, ce sera un assassinat. Est-ce que c’est cela que le gouvernement attend ? Il faudrait ensuite organiser un procès public de Floriane Irangabiye. Prendre à témoin les Burundais et le monde. Montrez en quoi elle est « criminelle ». Et vous verrez, avec un vrai procès, toute cette histoire va se dégonfler.

Si vous aviez un message sur l’affaire Floriane Irangabiye, ce serait…

Très simple : Humanité. Ubuntu. Nous sommes un pays qui a mis « Dieu à la première place ». C’est dans la Constitution. Ce qui se joue dans cette prison de Muyinga n’est ni humain ni chrétien. Vous savez, une personne peut rester plusieurs jours sans manger, sans boire. Par contre, il ne peut pas tenir plus de 4 minutes sans respirer. Laissez cette jeune journaliste sortir et respirer. Laissez-là vivre pour la juger.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza