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Affaire Emilienne Sibomana : un verdict qui fait polémique

Ce 27 juin 2023, le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Gitega a condamné Emilienne Sibomana à une peine de 5 ans de prison ferme et un dédommagement de 5 millions de BIF pour l’infraction de dénonciation calomnieuse en l’encontre de l’Abbé Laurent Ntakarutimana, directeur de l’Ecole Christ-Roi de Mushasha en province Gitega. Sa famille dénonce un procès inique et téléguidé. Cette affaire soulève un tollé sur les réseaux sociaux.

Devant trois ministres, dont celui de l’Education, et un parterre de journalistes, Emilienne Sibomana, secrétaire à l’Ecole Christ-Roi de Mushasha et représentante du Syndicat général du personnel de l’éducation, n’y est pas allée par quatre chemins. Elle a dénoncé des actes répétitifs d’abus sexuels commis sur des jeunes élèves par le directeur de l’établissement, Abbé Laurent Ntakarutimana. C’était le 27 janvier 2023.

Dans la foulée, elle a été arrêtée et écrouée à la prison de Gitega sous l’accusation de dénonciation calomnieuse. Ce 27 juin, Emilienne Sibomana a écopé de 5 ans de prison ferme et un dédommagement de 5 millions de BIF qu’elle va donner à son directeur. La Cour a aussi décidé que si elle ne paie pas cet argent, elle subira une contrainte par corps de 25 ans de servitude pénale.

Sa défense dénonce des irrégularités

« Ce n’était pas un procès. C’était un simulacre de procès alors que sa condamnation avait été programmée par une main invisible », dénonce un proche parent d’Emilienne Sibomana.
Me Edgard Muhirwe, avocat de l’accusée, indique qu’il n’est pas surpris par le verdict au regard de l’attitude du tribunal. Le procès a été expédié en deux audiences.

D’après Me Muhirwe, sa cliente ne réfute pas cette dénonciation d’abus sexuels de la part de l’Abbé Laurent Ntakarutimana. « Elle continue de dénoncer le directeur. A la première audience, nous avons demandé la nullité de procédure afin que commencent les enquêtes sur les abus sexuels dénoncés pour que ma cliente présente les preuves. Ça se voyait que le siège ne veut pas aller sur ce terrain. » Une remise a été décidée afin qu’Emilienne Sibomana puisse présenter les preuves de ces abus sexuels.

« Le jour de l’audience de la deuxième audience, on nous a fait attendre des heures afin d’attendre le président du TGI Gitega et le procureur de la République, qui étaient dans une réunion, alors qu’il y avait un siège déjà prévu. Tous les autres procès ont été clôturés, mais on devait attendre les deux personnes. C’était étonnant pour une infraction ordinaire. »

Selon l’avocat, la nullité de procédure a été ignorée par la cour. « Par contre, il y a eu une inversion de rôles. Nous avons montré que tous les procès-verbaux faits se rapportent au viol comme si c’est Emilienne qui est accusée de viol. On demandait seulement que les enquêtes soient dirigées vers l’Abbé Laurent Ntakarutimana et que notre cliente va coopérer avec le ministère public pour rassembler les charges relatives aux abus sexuels dénoncés. » D’après des sources qui ont suivi l’audience publique, l’Abbé Laurent Ntakarutimana avait amené des témoins à décharge à savoir des élèves de l’établissement.

Me Muhirwe assure que l’infraction de dénonciation calomnieuse est constituée si la personne dénoncée est acquittée ou si le ministère public a classé le dossier sans suite ce qui démontre la spontanéité et la fausseté du fait dénoncé.  Et de se demander : « Quand est-ce que ces instructions sur le viol ont été faites ? Quand sont-elles terminées pour commencer celles se rapportant à la dénonciation calomnieuse ? Le TGI devrait au contraire prononcer la nullité de procédure et de commanditer les instructions contre la personne dénoncée. Cela démontre un détournement de la procédure. C’est une première. » Pour l’avocat, le juge a condamné sa cliente sur une infraction qui n’est pas encore née. « L’infraction de dénonciation calomnieuse naîtra le jour où il y aura un jugement d’acquittement ou le classement sans suite sur les abus sexuels dénoncés. »

De plus, indique Me Muhirwe, cette demande de nullité ne figure pas sur le dispositif alors que la défense l’avait exprimé. « Cela dénote la partialité du juge, car il a ignoré les plaidoiries de l’accusée. Il devait y avoir une égalité des parties dans le dispositif. »

Selon l’avocat, une autre irrégularité est que les instructions ont porté sur les faits relatifs aux abus sexuels. « Tous les éléments du dossier renseignent sur les instructions qui concernent l’infraction de viol au lieu de l’infraction de dénonciation calomnieuse. Les juges ont siégé en matière pénale ordinaire alors qu’ils n’ont pas la compétence d’instruire sur les faits relatifs aux abus sexuels. Il y a des tribunaux spécialisés pour ça. »

Quid de la partie civile ?

Au cours de ce procès, l’Abbé Laurent Ntakarutimana s’est constitué en partie civile alors qu’il n’en a pas encore la qualité. « Pour l’infraction de dénonciation calomnieuse, la victime saisit la justice à l’issue de la décision de l’acquittement ou de classement sans suite. Or, l’Abbé Laurent Ntakarutimana était partie civile sans qu’il n’ait eu des instructions sur les faits dénoncés contre lui. Contre toute attente, Emilienne Sibomana a été condamnée de lui payer 5 millions de BIF alors qu’elle n’a pas été attendue sur le fond du dossier. »

D’après la défense, le TGI a rendu le jugement en violation fragrante du principe du contradictoire du fait qu’Emilienne Sibomana a seulement plaidé sur la forme et non pas sur le fond que ça soit sur les réquisitions du ministère public que ça soit sur la demande de la partie civile. « Cela montre qu’on a voulu faire taire notre cliente afin que cette histoire soit enterrée. »

Ce procès créé-t-il un précédent ?

La copie de jugement du procès

Pour Me Edgard Muhirwe, le respect de la procédure est non seulement un fondement d’un Etat de droit mais c’est aussi une fierté pour une personne qui remporte le procès. « Cela peut créer un précédent, car les gens auront peur de dénoncer de peur d’etre poursuivis. Alors, comment le ministère public va-il faire des enquêtes ? Il ne peut pas être partout. »

L’activiste pour les droits des femmes, Inès Kidasharira, abonde dans le même sens. « Bien entendu. Cette peine lourde peut décourager les personnes de dénoncer surtout si les présumés abuseurs sont des personnes d’un certain statut social. J’espère que ça ne sera pas le cas parce que tout ce qui a trait aux violences sexuelles est classé dans les crimes graves avec une loi spéciale. »

Elle se dit consternée parce que, selon elle, la peine est vraiment extrême. « En matière d’abus sexuels, la première chose conseillée est d’accueillir et croire en la victime. Elle me donne l’impression de l’avoir fait. J’espère qu’elle aura tout le soutien nécessaire et que la justice fera tout pour dire le droit, car cette histoire nous interpelle à bien d’égards. Les enfants sont ce que nous avons de plus précieux et les prêtres sont des acteurs clés pour une morale saine. »

Inès Kidasharira : « J’espère qu’elle aura tout le soutien nécessaire et que la justice fera tout pour dire le droit, car cette histoire nous interpelle à bien d’égards. »

Le vœu d’Inès Kidasharira est que le ministère du Genre et celui de la Justice puissent communiquer davantage et sur cette affaire et sur les mécanismes rassurants de dénonciation et canalisation existants qui permettent aux témoins et aux victimes de pouvoir faire remonter leurs déclarations sans peur de représailles quelconques.

Une activiste des droits des femmes, qui a requis l’anonymat, demande l’annulation du jugement et de procéder à de nouvelles instructions contre la personne dénoncée, l’Abbé Laurent Ntakarutimana. « La justice doit éviter d’être manipulée dans des procès qui ont des conséquences sur la vie du pays, car ce jugement est un message donné à tous les dénonciateurs des abus sexuels commis au niveau des établissements scolaires.