Burundi
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Crise au CNL : Bis repetita ?

Rien ne va plus au CNL. Agathon Rwasa, président du Congrès National pour la Liberté (CNL) a suspendu 11 personnalités, dont 10 députés, de leurs fonctions de membre de l’organe national de ce parti jusqu’à nouvel ordre. Elles sont accusées de dissidence. A leur tour, elles reprochent Agathon Rwasa de violer les statuts et ROI du parti. Tendons-nous vers une éviction de Rwasa ou une nouvelle « Nyakurisation » comme en 2010 ?

Par Fabrice Manirakiza, Rénovat Ndabashinze et Jérémie Misago

Sans préjudice des sanctions disciplinaires qu’ils pourraient encourir, le patron du CNL, Agathon Rwasa, a suspendu de leurs fonctions 10 députés en exercice et un secrétaire national à la diplomatie sur les 20 membres statutaires du Bureau politique du CNL.

Agathon Rwasa rappelle que le Congrès extraordinaire du 30 avril 2023 avait placé les 11 membres suspendus dans de nouvelles fonctions dans un organe stratégique travaillant main dans la main avec le Bureau politique. « Ces derniers se sont constitués en groupe de dissidents pour remettre en question les décisions des deux Conventions nationales à travers des écrits qu’ils ne cessent de diffuser à travers les réseaux sociaux et cela depuis le 30 avril 2023. »

M. Rwasa ajoute que depuis le 5 mars 2023, ils ne se sont plus présentés à la permanence nationale pour participer aux activités relevant de leurs organes d’affectation et qu’ils ont boycotté la plupart des activités organisées par le parti. Il les accuse d’avoir préféré se confier à la rue au lieu de soumettre leurs préoccupations aux organes habilités du parti. « Et cela, malgré les rappels à l’ordre répétitifs qu’ils ont reçus », charge-t-il.

Accusés d’insubordination

Le président du CNL a énuméré une liste de griefs contre ces cadres du parti suspendus. Selon lui, ils se sont rendus coupables d’insubordination vis-à-vis de la Convention nationale, organe suprême du parti, ainsi que des autres organes hiérarchiques du CNL. « Ils utilisent abusivement les signes du parti. Une conduite qui se situe dans le prolongement de celle qu’ils avaient affichée avant la tenue du Congrès ordinaire du 12 mars 2023. »

De plus, poursuit M. Rwasa, certains de ces dissidents n’ont transmis aucun rapport d’activités statutairement exigé depuis le deuxième semestre de l’an 2022.

M. Rwasa rappelle que ces « dissidents ont défendu mordicus que le congrès ordinaire soit reporté à plus tard sous prétexte de l’existence d’un climat malsain tout en ayant en l’esprit que, d’après les Statuts, la Convention nationale devait avoir lieu au plus tard en février 2023, et cela dans l’objectif de conduire le parti dans l’impasse. » Selon lui, une commission ad hoc a été mise sur pied pour analyser leur conduite et leurs préoccupations et proposer à qui de droit la suite à y réserver.

Le président du CNL fait également savoir que des lettres de demande d’explication ont été adressées à ces personnalités suspendues, mais qu’elles sont restées sans réponses jusqu’à présent.

L’honorable Cathy Kezimana, est accusée de faire preuve d’une déviation avérée de la ligne directrice et idéologique du parti et d’insubordination.

D’après Agathon Rwasa, les « dissidents » ont violé plusieurs articles des Statuts du parti. Et d’ajouter : « L’article 47 des Statuts dispose que le président du parti met fin aux fonctions des secrétaires nationaux en concertation avec le Secrétaire général, des Conseillers à la présidence du parti, des Conseillers au secrétariat général et des présidents des Comités régionaux en consultation avec le secrétaire général. »

Sans effets

« Cette décision est nulle et sans effets », réagit Térence Manirambona, une de ces personnalités suspendues du parti CNL. S’exprimant au nom de l’équipe, il rappelle que ce parti est en crise depuis huit mois. Ainsi, en déduit-il, personne y compris le président de ce parti n’a le droit de prendre une telle décision tant que les organes du parti particulièrement le bureau politique, ne peuvent pas se réunir. « Visiblement, c’est une décision qui émane de lui-même. Seul le bureau politique est habilité à prendre une telle décision conformément aux statuts légaux du parti de 2019. Aucune disposition ne permet au président du parti de suspendre les membres du bureau politique qui ont un mandat de 5 ans lui aussi y compris et cela sans aucune accusation », commente-t-il.

Il signale d’ailleurs que la recommandation du ministre de l’Intérieur suspend toutes les activités et les réunions du parti à l’exception de celles relatives à la réconciliation autorisée par ce même ministère.

M. Manirambona se demande si cette décision vient répondre à leur requête du 26 juin invitant Agathon Rwasa à convoquer une réunion du bureau politique de 2019 pour traiter ce climat malsain. « Serait-elle une réaction face à la recommandation du ministre de l’Intérieur ? », s’interroge-t-il.

Pour cette équipe, la décision d’Agathon Rwasa cache beaucoup de réalités.  « Mais, visiblement les conséquences de cette décision présagent une destruction du parti », regrette-t-il.

Le dialogue, la seule voie salutaire pour le CNL

« Nous demandons toujours le respect des textes du parti et la cohésion de ses militants », lance M.Manirambona. Dans leur communiqué du 26 juin, dix députés dudit parti avaient dénoncé des accusations infondées dont ils seraient victimes. Reconnaissant que la crise que connaît ce parti est d’origine interne, ils avaient été clairs : « Nous rejetons catégoriquement encore une fois les accusations mensongères du président du parti CNL véhiculées dans ses propos faisant objet de l’ingérence des pouvoirs publics dans les affaires internes du parti, d’une quelconque manipulation du parti au pouvoir , de vouloir créer un parti CNL Nyakuri, de vouloir résister aux réformes afin de garder des postes influents au sein des organes dirigeants du parti et de l’existence d’un soi-disant malentendu sur la limitation des mandats des députés issus du parti CNL pour la législature prochaine 2025.»

Pour eux, ces mensonges ne datent pas d’aujourd’hui. Contacté, Térence Manirambona, un des signataires indique que ce sont des rumeurs véhiculées par les parties en conflit chacune voulant ternir l’image de l’autre.

Interrogé sur les informations selon lesquelles ils auraient reçu de l’argent du parti au pouvoir pour évincer Rwasa, il est tranchant : « C’est archifaux. Les circuits monétaires pratiques au Burundi sont connus. Celle ou celui qui détient ces informations peut présenter des preuves. Jusqu’aujourd’hui, il n’y a pas de preuve ».

D’après lui, c’est un vieux mensonge du président du CNL du temps du maquis. « Lorsqu’il voulait faire taire, exclure ou se débarrasser de ses amis gênants, ces accusations ont été toujours mises en avant à savoir collaborer avec le parti au pouvoir pour l’évincer, avoir reçu une somme d’argent de la part du parti au pouvoir, menacer sa sécurité jusqu’à son élimination physique. »

Pourquoi cela est dénoncé aujourd’hui ? Ce député de Gitega répond simplement que chaque chose a son temps : « C’est pour la première fois de son histoire que notre formation politique totalise quatre ans de fonctionnement dans un cadre légal. La gestion et le passage d’un cadre informel au cadre formel sont difficiles. »

Mais, il garde espoir :« Je pense qu’à la sortie de cette crise, le leadership et la gouvernance démocratique vont se renforcer. »

D’après lui, ils attendent toujours que le président du CNL convoque une réunion du bureau politique de 2019 pour se pencher sur cette crise et trouver une solution. « Nous pensons que le dialogue est la seule voie salutaire pour l’avenir du parti, mais aussi du pays. »

Pourquoi se sont-ils adressés au ministre de l’Intérieur. Là, il explique que lorsqu’il y a violation des statuts et règlement d’ordre intérieur des partis politiques, le ministère ayant la gestion des partis politiques dans ses attributions est la seule autorité habilitée à traiter la question dans un premier temps. « L’étape de médiation vient après », nuance-t-il.

D’ailleurs, il rappelle que ce n’est pas le ministre qui a élaboré la liste de 14 personnes qu’on accuse d’organiser un complot contre les organes du parti et la sécurité du président du parti. « Ce n’est pas le ministre qui est venu pour violer les statuts et ROI du parti CNL. Ce n’est pas le ministre qui a mis en place une commission qui devait se pencher sur le climat malsain qui règne au sein du parti CNL », énumère-t-il. Il regrette que même le rapport de cette commission est resté caché.

Quid de leur présence lors du récent congrès jugé ‘’illégal’’ ? « Nous avons évité la politique de la chaise vide et par conséquent être des témoins oculaires de toutes les violations. »
M. Manirambona indique qu’il fallait également rassembler toutes les preuves. D’après lui, le fait qu’il y ait un membre du bureau politique qui a posé des questions et proposé un amendement lors du congrès de mars 2023 est une preuve irréfutable que les amendements proposés aux congressistes n’étaient pas d’émanation du bureau politique dont il est membre. « Qui d’autres se seraient substitués au bureau politique pour amender les statuts et ROI du parti en violation des statuts de 2019 ? », s’interroge-t-il.

Il précise que les statuts exigent 4/5 des membres du bureau politique pour amender les statuts.

Une main du pouvoir ?

Dans une correspondance du 17 mai, le ministre de l’Intérieur avait indiqué que les décisions prises par le parti CNL dans ses congrès ordinaire et extraordinaire tenus respectivement les 12 mars et 30 avril dernier sont nulles et sans effets. Martin Niteretse a évoqué la violation des statuts du parti : « Conformément à l’article 52 des statuts du parti CNL, il apparaît clairement que les assemblées régionales du parti doivent avoir eu lieu pour rassembler les idées et les aspirations des membres avant la tenue de la convention nationale (congrès national). Le rapport y afférent n’apparaît, toutefois, nulle part. »

Selon le ministre Niteretse, la moitié des membres du bureau politique du parti Cnl ont adressé une correspondance au ministère de l’Intérieur dans laquelle ils dénoncent des irrégularités ayant émaillé ces congrès ordinaire et extraordinaire. « Ce recours, suivi du communiqué du 15 mai 2023 rendu public par les mêmes membres du bureau politique, dénote la subsistance d’un climat malsain au sein de l’organe suprême du parti Cnl qui devrait être marqué par l’unicité dans ses actions ». Pour lui, Il s’avérait indispensable de procéder préalablement à l’unification du bureau politique avant que des conventions respectueuses des statuts et auxquelles prendront part à titre d’observateurs les représentants du ministère de l’Intérieur ne soient organisées.

« Le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique a vite tiré ses conclusions sur base de fausses informations fournies par un petit groupe de réfractaires toujours animé d’un esprit de paralyser les activités du parti CNL », avait déploré Agathon Rwasa, le mardi 23 mai.

Et d’ajouter : « Il est déplorable que ce groupe de réfractaires ait choisi de chercher l’appui des pouvoirs publics pour juste remettre en cause les décisions des conventions nationales qui sont, pourtant, souveraines comme le dispose l’article 54 des statuts et paralyser par conséquent les activités du parti ».

D’après Agathon Rwasa, les réunions du bureau politique préparatoires du congrès ordinaire se sont tenues le 16 août et le 1er novembre 2022, en présence des membres de ce groupe de réfractaires. Et de rappeler que les irrégularités évoquées n’ont pas été soulevées dans les congrès ni dans les jours ayant précédé la tenue du congrès extraordinaire du 30 avril alors que ces « dissidents » étaient présents.
Le patron du CNL a demandé au ministre de l’Intérieur de se désolidariser de ce groupe de « réfractaires » et de s’abstenir de s’immiscer dans l’organisation interne du parti CNL.
Dans la foulée, une dizaine de policiers ont bloqué l’entrée de la permanence nationale du parti Congrès national pour la liberté (CNL) sise à Mutanga-Nord dans la ville de Bujumbura depuis la matinée de ce 3 juin.

Les 11 personnalités suspendues

1. Monsieur Nestor Girukwishaka (Secrétaire national à la diplomatie)
2. Honorable Pelate Niyonkuru (Secrétaire national au trésor et aux projets)
3. Honorable Bernard Ndayisenga (Secrétaire national à la sécurité)
4. Honorable Térence Manirambona (Secrétaire national à la communication)
5. Honorable Felix Mpozeriniga (Conseiller à la présidence du parti)
6. Honorable Léopold Hakizimana (Conseiller au Secrétariat national du parti)
7. Honorable Marie Immaculée Ntacobakimvuna (Secrétaire nationale à la promotion féminine)
8. Honorable Godeberthe Hatungimana (Secrétaire nationale aux affaires et à la discipline)
9. Honorable Jean Berchmans Mbanye (Régional Imbo-Mirwa)
10. Honorable Zénon Bigirimana (Régional Kirimiro-Mugamba)
11. Honorable Cathy Kezakimana

Le CNL dénonce des arrestations en cascade de ses militants

Selon Simon Bizimungu, l’espace politique se rétrécit

Depuis presque deux mois, il s’observe des arrestations des militants du CNL dans différents coins du pays. Ils sont accusés, pour la plupart, de tenir des réunions non autorisées. Pour ce parti CNL, cela serait lié à la crise au sein du parti et à la décision du ministre de l’Intérieur de suspendre toutes ses activités.

« On était habitué que deux ou trois membres du parti réunis soient accusés de tenir une réunion illégale. C’est ce que nous sommes en train de revivre », indique Simon Bizimungu, secrétaire général du parti CNL. Il déplore une dégradation de la situation comme par le passé. « Cela serait lié à la décision du ministre de l’Intérieur de suspendre toutes les activités du parti CNL. » Des arrestations qui n’épargnent pas les membres du bureau politique.
Le 15 juin, le parti CNL a alerté sur l’arrestation par des agents du service national de renseignement (SNR) de Christophe Nduwayo, membre du bureau politique.

Revenant sur le motif de cette arrestation, Simon Bizimungu signale que ce dernier a eu une conversation téléphonique avec un ami de longue date au maquis. « Ce dernier l’a enregistré à son insu. Les anciens camarades de lutte se disent beaucoup de choses sur le combat qu’ils ont mené. Le document audio a été publié et transféré dans des groupes WhatsApp.»

D’après lui, on s’est basé sur ce document pour l’arrêter. Une fouille perquisition a été effectuée à son domicile pendant son absence et rien n’a été trouvé. « Il est rentré et on l’a arrêté. Depuis son arrestation, il n’a pas encore comparu devant le juge. Nous demandons que les lois et procédures soient respectées. L’accusé doit jouir d’un procès juste et équitable. »

Via ces audios, Christophe Nduwayo affirmait qu’il détiendrait un fusils et qu’il ne tolère pas la présence des Tutsi dans le bureau politique du parti.

Mardi 30 mai, le parti CNL via son secrétariat général avait tenu à se désolidariser avec l’auteur de ces propos : « Le parti CNL informe ceux qui ont reçu ce document que le contenu n’engage pas le parti. L’auteur l’a fait de son propre gré, mais pas au nom du parti. »

En commune Itaba de la province Gitega, 13 militants du CNL ont été accusés d’avoir tenu une réunion non autorisée. Détenus près de deux semaines dans le cachot du commissariat communal d’Itaba, ils ont été transférés par l’administrateur communal vers le commissariat provincial, selon les responsables du parti.

Preuve d’intolérance politique

Simon Bizimungu, secrétaire général du parti soutient que cette situation démontre des actes d’intolérance politique. En effet, justifie-t-il, les militants interpellés ont été triés parmi d’autres personnes dans un bar : « Après la messe, ces membres sont passés voir un de leurs amis. Ils sont ensuite allés dans un bar pour partager un verre. C’est alors que le secrétaire exécutif permanent de la commune Itaba est venu les arrêter. Il les a accusés de tenir une réunion non autorisée par l’administration ».

Pour lui, c’est inconcevable qu’un administratif accuse un groupe de gens assis dans un bar parmi d’autres clients de tenir une réunion sans points à l’ordre du jour ni procès-verbal. « C’est ridicule de la part de l’administration. Nous voyons toujours des membres du Cndd-Fdd assis ensemble dans les bars. Peut-on en déduire que ce sont des réunions qu’ils tiennent souvent ?»

Contacté, Domitien Nyandwi, administrateur de la commune d’Itaba, a botté en touche : « Ce sont les organes de justice qui peuvent vous donner des détails. »

Concernant l’implication directe de son secrétaire exécutif permanent dans ces arrestations, il dit ne pas avoir reçu de rapport à ce sujet.

Même situation à Bubanza. Selon Simon Bizimungu, des membres du CNL ont été arrêtés sous prétexte de tenir une réunion illégale. « Ils ont été relâchés, dimanche 18 juin, après deux semaines d’incarcération. »

Lundi 19 juin, en commune Mpanda de la même province, trois militants ont été arrêtés. Le représentant local du CNL a alerté le gouverneur de Bubanza qui a ordonné de les libérer. Ils ont été relâchés deux heures plus tard. « C’est un climat de persécution et d’intimidation pour nos militants. C’est inacceptable. Il faut que nos droits soient respectés », s’indigne M.Bizimungu.

Cet opposant dénonce un acharnement politique, un sentiment de haine, de suspicion et de méfiance qui s’installe : « C’est un comportement à décourager parce que tous les partis politiques agréés ont le droit de faire des activités sur toute l’étendue du pays. C’est bon de laisser tous les partis fonctionner. »

Inacceptable

Un membre de la société civile, sous couvert d’anonymat, qualifie cette situation d’inacceptable dans un pays qui se dit démocratique et n’augure rien de bon à la veille des législatives de 2025 : « Les autorités du pays clament haut et fort que le Burundi est un Etat démocratique. Personne ne devrait être inquiété sur base de son appartenance à un parti politique. Les droits de l’Homme et les libertés publiques doivent être respectés dans leur intégralité, comme le dispose la Constitution ».

Il appelle les autorités à une prise de conscience du danger que représentent ces agissements sur l’image du pays qui s’améliorait aux yeux de la communauté internationale.

Pour lui, personne ne gagne quand des forces vives croupissent en prison pour rien. Le pays, explique-t-il, perd deux fois : son image est ternie et des acteurs du développement deviennent une charge pour l’Etat.

Iwacu a essayé de contacter le ministère de l’Intérieur pour s’exprimer sur les appréhensions du parti Cnl, en vain.

Analyse

Dr Elie Maniragora : « Une telle mesure décrédibilise le parti et ses organes dirigeants »

Cet enseignant en droit public et chercheur en médiation estime que les deux parties disposent encore d’une fenêtre d’opportunité qu’elles peuvent exploiter pour arriver à une solution consensuelle. D’après lui, avec la résolution de ce différend, le parti CNL s’en sortira renforcer.

La suspension de 11 personnalités ne risque pas d’empirer les choses ?

Dans un contexte crucial comme celui d’aujourd’hui, la meilleure stratégie pour se préparer aux élections est, me semble-t-il, plus de convaincre le maximum de citoyens burundais pour adhérer aux projets incarnés par le parti que de se séparer des membres influents dont dispose déjà le parti. Concrètement, avec cette mesure, le parti CNL a plus à perdre qu’à gagner.

Comment ?

Une perte en termes d’image d’abord, car une telle mesure décrédibilise le parti et ses organes dirigeants quant à leur capacité de ses membres à transcender les clivages internes. Cette mesure peut apparaitre, aux yeux des Burundais et des amis du Burundi, comme une sorte d’intolérance politique à leur égard surtout qu’ils ne réclament qu’une simple écoute pour résoudre le différend interne à ce parti. Une autre question est celle de la perte d’influence du parti CNL auprès de certains de ses militants, car une telle mesure engendre des questionnements de nature à créer une sorte de désespoir quant à leur avenir au sein de ce parti.

Aller se plaindre directement au ministre de l’Intérieur sans passer par une autre médiation, ce n’est pas jouer le jeu du parti au pouvoir ?

Bien sûr qu’il y a lieu de le penser de cette manière-là surtout que nous sommes à deux ans des élections législatives. Mais il ne faut pas non plus se limiter à cela. Les dissensions au sein des formations politiques peuvent dégénérer rapidement en violences politiques internes avec des répercussions sur l’ensemble de la société. Tout en n’écartant pas cette approche, je pense qu’il faut aussi comprendre la saisine du ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique comme une alerte pour que l’autorité compétente suive de près la situation et prenne des mesures susceptibles de garantir l’ordre public en général et la sécurité physique des membres du parti CNL en particulier. Et je ne crois pas que le fait de saisir le ministère de l’Intérieur, ayant par ailleurs le fonctionnement des partis politiques dans ses attributions, soit incompatible avec une démarche de médiation. Ce qui est d’ailleurs intéressant, c’est que dans sa lettre de suspension des activités du parti, il propose aux deux parties d’organiser un cadre de dialogue pour résoudre les différends qui les opposent. Ce qui est déjà une bonne chose.

Peut-on parler d’une probable « Nyakurisation » du CNL ?

Pour le moment, la question d’une création d’un CNL Nyakuri ne se pose pas. Il y a une volonté des deux côtés de résoudre la crise même s’il faut le souligner, la démarche empruntée reste divergente. En effet, il y a d’un côté une partie qui privilégie une approche négociée et une autre qui cherche à résoudre le conflit par la voie réglementaire. S’il n’y a pas de solution jusqu’aux élections, on peut craindre un basculement de la situation. Mais, je pense que les deux parties vont s’asseoir ensemble pour trouver un terrain d’entente dans l’intérêt de leur formation politique.

Est-ce que le CNL ne rate pas une occasion pour bien se positionner pour les prochaines élections ?

Ce serait prématuré de dire que le parti CNL a déjà raté une occasion pour se rassembler en vue des prochaines élections législatives en 2025 et présidentielles en 2027. Tout dépendra de la manière dont les deux parties vont se comporter dans les prochains jours, les prochaines semaines et les prochains mois. J’estime que les deux parties disposent encore d’une fenêtre d’opportunité qu’elles peuvent exploiter pour arriver à une solution consensuelle. En effet, même s’il y a un groupe dont les membres sont suspendus de leurs fonctions par un autre, les deux se réclament toujours du même parti CNL. Il y a lieu d’estimer qu’avec la résolution de ce différend, le parti CNL s’en sortira renforcé. Il faut surtout que les uns et les autres comprennent qu’au-delà des membres du parti CNL, il y a tout un peuple qui a soif d’un renouvellement de l’élite dirigeante. Or un tel changement ne peut s’opérer que s’il y a une opposition forte rassemblée autour d’un parti politique aussi fort comme le CNL.