Burundi
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Exploitation des terres inexploitées, un remède à la sous-production ?

A loccasion de la célébration de la Journée des Travailleurs le 2 mai dernier, le chef de lEtat, Evariste Ndayishimiye, a appelé à un dialogue avec les propriétaires de terres non exploitées en vue de mettre celles-ci à la disposition de gens prêts à les exploiter. Et cela dans le but daugmenter la production.

Dans ce discours tenu à Muyinga, le président Ndayishimiye a dabord appelé les paysans à éviter de laisser des sols inexploités en y plantant des arbres pouvant cohabiter avec les cultures.

Le chef de lEtat sest ensuite adressé aux propriétaires de terres non exploitées. « Nous voulons instaurer un dialogue avec ceux nayant pas été capables de cultiver leurs terres pour quelles servent à ceux à la recherche de terres cultivables et donc dans le besoin aigu de terres inexploitées ». Pour le président de la République, une telle politique va contribuer à accroître la production agricole.

Des politiques sceptiques

Face aux propos du président, les politiques interrogés se disent non convaincus quune telle pratique permettra daugmenter la production et demandent la mise en place dune réforme foncière et une meilleure politique agricole.

Tatien Sibomana : « Une culpabilisation indue et illégale »

Cet acteur politique estime que la question soulevée par le président de la République relève du droit de la propriété privée prévu par la Constitution du Burundi et les textes internationationaux que le Burundi a ratifiés. « Larticle 36 de la Constitution burundaise précise que toute personne a droit à la propriété. Le texte ajoute également que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause dutilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité ou en exécution dune décision judiciaire coulée en force de chose jugée », tient à citer Tatien Sibomana.
Pour cet ancien haut cadre de lUprona, le chef de lEtat sest montré quelque peu injuste à lendroit des propriétaires de terrains inexploités. « La plus haute autorité du pays a insinué que les dits propriétaires sont paresseux, nayant pas été capables de les rentabiliser. Une culpabilisation indue et illégale », se plaint le juriste de formation.

Selon Tatien Sibomana, les raisons pouvant mener à des terres inexploitées sont multiples. « Certains peuvent avancer quils disposent dune progéniture qui nest pas encore prête à se partager le lopin de terre, dautres peuvent lavoir mise en jachère, certains peuvent avoir prévu de clôturer leurs propriétés pour créer des zones de pâturage pour leur bétail,  »

M. Sibomana juge également que lannonce du chef de lEtat risque douvrir la boîte de Pandore. « Puisquil est question de remettre en cause la propriété privée, lEtat serait-il prêt à partager les biens faramineux acquis par certains dignitaires et les mettre au profit des pauvres ? Certains pourraient peut-être céder certaines de leurs larges acquisitions immobilières au profit des sans-abris ! Cest absurde ! »

Concernant le dialogue promis par le chef de lEtat, Tatien Sibomana ne se montre pas rassuré. « Un Etat qui aura à traiter avec des particulier, ça sera une situation inégale. Car les particuliers nont aucun moyen de pression sur les pouvoirs publics ».
Ce politique demande à lEtat de ne pas déshabiller Saint-Pierre pour habiller Saint-Paul. Et davancer des solutions : une politique agricole efficace pour nourrir la population, lutter contre les constructions anarchiques dans des zones cultivables notamment sur les plaines, rentabiliser les petits lopins de terre en misant sur lencadrement des ingénieurs agricoles.

Pierre-Claver Nahimana : « Il faut une réforme foncière »

Daprès le président du parti Sahwanya Frodebu, le problème des terres inexploitées évoqué par le chef de lEtat est assez complexe. « Avec la surpopulation notamment dans le milieu rural, les terres cultivables sont saturées et les lopins de terres inexploitées dont parle le président sont très peu nombreuses ».

Lingénieur agronome de formation soutient que lobtention dune meilleure production exige une réforme foncière profonde. « Il y a besoin dorganiser mieux lexploitation de toutes les terres et non pas de quelques-unes pour aboutir à une production largement suffisante et lexportation du surplus ».

A côté de cela, ajoute M. Nahimana, il faut résoudre les défis liés aux nouvelles technologies agricoles comme les semences, leau, la démographie et la bonne gouvernance qui, selon lui, sont autant déléments qui permettent davoir une production substantielle.
Le président du parti de Ndadaye prend le soin de souligner les limites de lexercice du dialogue défendu par le chef de lexécutif. « Les propriétaires pourront toujours invoquer mille et une raisons pour refuser céder ou prêter leurs terres. Certains diront quils veulent planter des eucalyptus, dautres diront quils ont mis leur terre en jachère, Cest pourquoi il faut une réforme foncière à la hauteur de cet enjeu ».

Eclairage / Emery Nukuri : « Les recommandations du chef de lEtat ont une certaine logique sur un plan légal »

Lexpert-juriste en droit foncier estime que le président de la République a raison de vouloir obtenir le consentement des propriétaires de terres concernés.

Pour le professeur duniversité, le propos présidentiel comporte une certaine logique dun point de vue légal. « Larticle 1 du code foncier précise que lensemble des terres situées sur le territoire national constitue le patrimoine foncier national », fait savoir le Doyen de lInstitut de Cartographie de lUniversité du Burundi.

Et de compléter. « Larticle 2 du code foncier dispose que le patrimoine foncier national comprend les terres relevant du domaine public de lEtat et de celui des autres personnes publiques, les terres relevant du domaine privé de lEtat et de celui des autres personnes publiques, les terres des personnes privées, physiques ou morales ».

Lexpert en droit foncier indique aussi quen ce qui concerne les personnes privées, larticle 16 prévoit que la propriété foncière est le droit duser, de jouir et de disposer dun fonds dune manière absolue et exclusive, sauf restrictions résultant de la loi et des droits réels appartenant à autrui.

« Le chef de lEtat étant lautorité administrative suprême, il a le droit dagir pour tout ce qui relève du droit foncier conformément aux dispositions légales », juge-t-il.

Ainsi, daprès M. Nukuri, le président de la République a raison de vouloir obtenir le consentement des propriétaires de terres car, spécifie-il, aucune disposition du code foncier ne prévoit pas dobligation dexploiter les terres rurales sous peine de sanctions. « Le propriétaire de terres peut céder son terrain inexploité sil y a un projet daménagement du territoire quand bien même le code foncier nest pas clair là-dessus ».

Et de demander aux pouvoirs publics de réviser le code foncier en ses articles 380-391 en y incorporant les dispositions prévues par ces mêmes articles dans le code foncier de 1986 qui autorisaient lEtat à confisquer les terres non mises en valeur par leurs propriétaires.