Burundi
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Interview exclusive avec Léonce Ngendakumana :« Le Frodebu propose l’école de la démocratie »

30 ans après la victoire remportée par le Frodebu aux présidentielles de 1993, quel bilan, quelles perspectives ? Comment se positionne-t-il pour les législatives de 2025 ? Quel regard face à la résurgence de l’intolérance politique ? Entretien avec Léonce Ngendakumana, vice-président du Frodebu.

30 ans viennent de s’écouler après la victoire du Frodebu aux présidentielles de 1993, où en est-on avec son projet de société ?

Je tiens à rappeler que le projet de société que le Frodebu a proposé et qu’il continue à proposer aux Burundais repose sur trois principaux piliers. Il s’agit d’abord de l’instauration au Burundi un Etat de droit. Un Etat qui repose sur les lois, et pas n’importe quelles lois, mais des lois votées et promulguées par les élus. Cet Etat de droit qui repose aussi sur la démocratie multipartite via les élections.

Ensuite, il s’agit de la valorisation du travail sous toutes ses formes. Le travail conduit à l’amélioration et l’augmentation de la production.
Revaloriser le travail signifie aussi réhabiliter les agri-éleveurs. Il y a des travailleurs qui font vivre ce pays mais qui sont méconnus.

Enfin, il s’agit du partage équitable de la production pour faire du Burundi une nation apaisée, digne, unie, réconciliée et prospère.

Quels sont les acquis ?

Très peu de gens vous diront que le bilan est positif. Mais, pour le Frodebu le bilan est positif.
Il y a d’abord les symboles de la démocratie. Le multipartisme est une réalité au Burundi. Il y a une trentaine de partis politiques. Peu importe comment sont organisés et fonctionnent aujourd’hui les partis politiques. Le comportement c’est autre chose.

Il y a eu émergence et consolidation de la société civile et une diversité des médias.

Le Frodebu proposait au peuple burundais de passer des régimes militaires dictatoriaux aux régimes démocratiques par la voie des élections. Aujourd’hui, peu importe comment les élections sont préparées et organisées, tout le monde parle des élections pour accéder au pouvoir.
Aujourd’hui, on a des corps de défense et de sécurité qui représentent les différentes composantes de la société burundaise. Avant, on parlait des corps mono-ethniques.

Quid des défis ?

On a certes des acquis au niveau politique, mais au niveau socio-économique, nous avons énormément de défis. De ce côté, Il n’y a pas d’acquis, on a plutôt régressé. La pauvreté et le chômage gangrènent la société.

Au niveau démocratie, il y a des défis. Des lois liberticides qui sont malheureusement votées par les représentants du peuple. Loi sur la presse, les libertés publiques, les associations, une Constitution taillée sur mesure en faveur du parti au pouvoir.

La plupart des institutions et des organes de l’Etat manquent de culture démocratique.

Il y a eu la naissance de mouvements politiques armés qui ont gardé à l’esprit la suprématie de la logique militaire sur le dialogue politique.
Il y a eu des partis politiques, des organisations de la société civile et des médias qui se qualifient de démocratiques mais sont en réalité au service du parti au pouvoir.

Et les perspectives ?

Le Frodebu propose l’école de la démocratie. Il entend inculquer aux Burundais l’amour du travail. Les gens s’habituent dangereusement à vivre sur le dos des autres. Que chacun apprenne à manger à la sueur de son front.

Le Frodebu s’est longuement battu pour décrocher l’Accord d’Arusha mais d’aucuns disent que ce dernier est dans les oubliettes. Comment les réhabiliter ?

Ceux qui le disent de cette manière sont très simplistes. L’accord d’Arusha est bel et bien vivant. Ce qui compte pour l’Accord d’Arusha, ce n’est pas ce texte-là, c’est plutôt son esprit. L’esprit de réconcilier les Burundais, de développer ce pays, de cohabitation dans la diversité, de partage du pouvoir. Qui n’y croit pas ?

L’accord d’Arusha est bien vivant dans l’esprit des Burundais, de la sous-région qui nous a aidés, dans l’esprit du continent africain et même de la communauté internationale, notamment l’UA, l’UE, l’ONU qui sont dépositaires de cet accord au même titre que les Burundais.

Ainsi, ceux qui disent que l’accord d’Arusha n’est plus d’actualité se trompent. Qu’ils aillent lire la Constitution. Même si certaines de ses dispositions violent l’accord, 90% de cette Constitution est bâtie sur cet accord. Bref, nier l’accord d’Arusha, c’est nier la Constitution.

Le Frodebu a connu des ailes, à quand la réunification ?

La Frodebu a effectivement connu des scissions antagonistes et presque irréconciliables. Mais ce qui est important c’est que toutes ces ailes se réclament de l’héritage du président Melchior Ndadaye, héros de la démocratie.

Nous connaissons les méandres de nos divisions. Nous estimons que nous sommes en droit de nous organiser pour nous réconcilier. Ceux qui sont partis ont tout vu. Ceux qui sont restés au Frodebu ont tout vu. Maintenant, nous sommes en train de préparer un congrès qui se tiendra du 8 au 9 juillet. Un des principaux axes de ce congrès sera la réconciliation du Frodebu avec lui-même, la refondation du parti.

Où en est-on avec le projet de promotion d’une nouvelle génération politique ?

La lutte entre les générations est une question très compliquée. Il y en a qui prennent cela comme la lutte entre les jeunes et les adultes. Loin s’en faut. Quand nous parlons d’une nouvelle génération politique, nous voulons signifier un ensemble de Burundais qui veulent qu’il y ait respect des valeurs et principes démocratiques.

Des Burundais qui sont guidés par des valeurs et non des anti-valeurs. Les personnes ou les organisations qui adhèrent à cela – il y en a beaucoup dans ce pays -, vont constituer la nouvelle génération politique.

Il ne faut pas rester prisonnier de notre douloureux passé. Il faut se détacher de ces chaînes et passer à la réconciliation des Burundais. C’est comme cela qu’on va construire une nation digne, debout, respectée et qui se fait respecter.

Est-ce que ce n’est pas une utopie ?

Non. La nouvelle génération politique est en cours d’évolution. Il y a des gens aujourd’hui qui se démarquent des histoires d’ethnies, qui dénoncent les coups d’Etat. Toutes ces personnes sont les bienvenues dans la nouvelle génération politique.

Cette dernière sera formée à travers une école de la démocratie. Celle-ci n’est pas un établissement scolaire qu’on va construire. C’est le fait d’enseigner aux Burundais les principales dispositions de la Constitution pour que le peuple sache ses droits, ses obligations, soit au courant de comment fonctionnent les institutions pour que les citoyens soient informés sur toutes les réalités du pays, y compris celles des militaires et des policiers.

Concrètement….

Cette école va permettre au peuple burundais de savoir, par exemple, sur quoi il va voter et pour qui. Il y en a qui se réveillent tôt le matin pour voter sans savoir ce qu’ils votent. Ils ne savent pas qu’ils votent pour le changement d’un mauvais programme politique, pour le changement des institutions qui ne les ont pas bien représentés, qui ne les ont pas servis, pour les dirigeants qui ne les ont pas servis depuis les collines jusqu’au président de la République.

L’école de la démocratie c’est pour que chacun sache comment se comporter dans un contexte démocratique, y compris les églises. Il faut des débats, des formations pour que les citoyens sachent combattre les injustices.

Quelle sera l’approche du Frodebu face aux législatives de 2025 ? Va-t-il y participer en solo ou en coalition avec d’autres formations politiques ?

Le Frodebu est un parti politique qui se bat beaucoup plus pour l’idéal démocratique. Il ne se bat pas principalement pour accéder à certains postes. Mais pour pouvoir transformer la société, il faut avoir le pouvoir. Mais ce n’est pas la finalité du Frodebu. En 2025, le Frodebu est le principal parti qui va militer pour les élections afin d’accéder à n’importe quel poste électif. Il faut y aller par les élections et pas par le recours à la violence.

Le Frodebu participera donc aux législatives de 2025. Il estime que son projet de société va être valorisé à cause de ces tristes expériences vécues pour que les citoyens votent en faveur du changement démocratique du Burundi nouveau, comme le voulait le président Ndadaye quand il a pris le pouvoir.
Nous allons gagner les élections, à défaut, nous allons être dans les institutions.

Allez-vous y participer en solo ou en coalition ?

Nous allons apprécier. Souvenez-vous, en 1993, le Frodebu s’est allié avec trois partis politiques. En allant aux négociations pour l’Accord d’Arusha, on était en alliance. Le Frodebu a été toujours dans les alliances. Il a cette culture.

Certainement que même pour les législatives de 2025 et les présidentielles de 2027, le Frodebu sera avec d’autres qui pensent comme lui sur ce concept démocratique.

Compte-t-il s’allier avec l’opposition ou le parti au pouvoir ?

On fera une alliance avec un parti ou un groupe d’individus qui pensent à poursuivre le processus de la démocratisation de ce pays. Si le parti au pouvoir change le comportement qu’il a aujourd’hui, il n’est pas exclu que le Frodebu puisse se coaliser avec lui.
Si un autre parti est prêt à accepter le Frodebu avec ses principes, ses orientations et objectifs, le Frodebu va l’accepter. On ne se coalise pas pour avoir un poste de député, administrateur communal ou un autre poste. On va se coaliser pour prendre le pouvoir afin de transformer la société burundaise jusqu’à avoir une nation digne, apaisée, unie et prospère.

Que dites-vous de cette résurgence de l’intolérance politique au moment on s’achemine vers les législatives de 2025 ?

C’est une situation est extrêmement grave. C’est une entorse, un frein à la démocratie. Là où il y a intolérance politique, il est difficile d’y parler de démocratie. Là où il y a intolérance politique, on fait recours à la violence, à l’intimidation.

On le voit avec le Cnl. Dans un pays qui se veut démocratique, tolérant, pourquoi l’empêcher d’organiser ses activités à sa permanence. Si l’intolérance continue à se consolider, elle conduit à l’exclusion. J’espère que le parti au pouvoir redressera la situation pour éviter qu’elle dégénère.

Quel peut être le rôle de la Ceni dans cette situation ?

Il y a longtemps que je n’entends parler de la Ceni. Mais selon les textes, il y a ces commissaires qui sont là mais qui ne s’expriment pas sur cette intolérance qui peut être nuisible. La Ceni doit aussi contribuer à la formation civique pour le processus électoral. Bientôt on entre dans le processus électoral, la Ceni devrait commencer à préparer les esprits.

Il faut aussi que les pouvoirs publics préparent et organisent un processus électoral qui soit plus rassurant pour que les dirigeants issus de ces élections soient des personnalités qui pensent réellement à l’intérêt du peuple. Je pense que les prochaines élections seront organisées en tenant compte de l’évolution du processus démocratique dans notre société.

Aujourd’hui, on dit que nous sommes dans un régime démocratique. Il faut le prouver sur le terrain. Il faut le mériter.

Flambée des prix de première nécessité, pénurie répétitive du carburant. Que faire pour redresser l’économie du pays ?

Le président de la République a déjà organisé deux fora pour le développement économique du Burundi. Participants et experts ont émis plusieurs recommandations très pertinentes. Il faut que le gouvernement actuel pense à rentabiliser lesdites recommandations.

Propos recueillis par Félix Haburiyakira