Burundi
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Opinion | Burundi Economie : de Faux Médicaments pour une maladie Endémique

*Par André Nikwigize

C’est cette image du domaine médical que nous empruntons pour qualifier cette réflexion sur la situation économique du Burundi, en particulier, les deux mesures-phares qui viennent d’être prises dans le domaine monétaire concernant : la démonétisation des billets de banque de 10 000 FBu et de 5 000 FBu et la règlementation du commerce de devises étrangères. Face à ces mesures, les plus hautes autorités du pays clament haut et fort qu’il s’agit là des mesures pour redresser l’économie burundaise. Beaucoup de Burundais émettent des doutes quant à leur effet, sur la maladie dont souffre le Burundi, en l’occurrence, l’extrême pauvreté, avec ses manifestations de la faim et l’insécurité alimentaire, le faible niveau d’éducation, le mauvais système de santé et le chômage des jeunes. Et surtout, que le peu de ressources disponibles, fournies par les aides extérieures et les taxes et impôts sont dilapidées.

Démonétisation des billets de 10 000 et 5 000 FBu : Mesure de politique monétaire ou règlement de comptes ?

La démonétisation des billets de banque est effectivement une mesure de politique monétaire qu’on rencontre dans beaucoup de pays. Elle est prise sous trois conditions principales : soit que les billets en question sont vieux et méritent d’être remplacés ; soit qu’il a été constaté des cas de contrefaçon et de fausse monnaie ; ou soit que le gouvernement souhaite changer de dénomination de la monnaie. A notre connaissance, au Burundi, aucun de ces scénarios ne se présente pour justifier un changement subit des billets de 10 000 FBu et de 5 000 FBu. Lorsqu’une telle décision de démonétiser les billets de banque est prise, le Gouvernement accorde une période qui n’est pas inférieure à une année, afin que ceux qui disposent des billets concernés puissent disposer du temps de les changer contre les nouveaux billets. Ils continuent à être utilisés jusqu’à ce que le dernier billet soit présenté à la banque.

Une économie peu bancarisée et une méfiance du public vis-à-vis du système bancaire

Selon le Gouverneur de la Banque de la République, le changement de ces billets est justifié par le fait qu’il a été constaté que 60 % des billets de 10 000 FBu et 5 000 FBu étaient hors circuit bancaire. Pour quelqu’un qui connait le système monétaire burundais, il n’y a rien d’anormal. Au Burundi, le taux de bancarisation, c’est-à-dire, la proportion de la population qui a accès au système bancaire est inférieure à 20 %, c’est-à-dire que 80 % de la population burundaise n’utilise pas les services des banques. Et cela, pour deux raisons principales : que les populations sont pauvres et n’ont pas d’argent à déposer dans une banque ou une institution financière, ou que ceux qui ont de l’argent n’ont pas confiance dans le système bancaire, et préfèrent garder leur argent à la maison, dans des endroits cachés, jusqu’à des montants importants. Aucune loi n’oblige les citoyens à travailler avec des banques. L’argent circule, mais ne passe pas nécessairement par le système bancaire. L’on rencontre fréquemment des commerçants se trimbalant avec des sacs pleins d’argent, jusqu’à 1 milliard de FBu, pour aller à Bujumbura, acheter un bien, y compris pour achat des véhicules de grande valeur, comme les camions, et cela n’a jamais constitué un problème quelconque.

Cela veut dire qu’il y a une autre raison de démonétiser ces deux billets de banque. Puisque ces billets n’étaient ni vieux, nécessitant leur changement, ni sujet a des contrefaçons, ni que le Gouvernement souhaitait changer de dénomination de devise.

Combattre les détourneurs de fonds publics en leur privant une partie de leur butin

Tous les Burundais se rappellent bien des discours du Chef de l’Etat, au début de son mandat, qu’il allait combattre, avec la dernière énergie, la corruption, et ceux qui se sont enrichis avec l’argent de l’Etat allaient devoir payer. Par la suite, constatant certainement que les auteurs de la corruption n’étaient pas loin de son cercle politique et familial, et qu’il était difficile de les combattre de manière frontale, il se rétracta. Par la suite, à l’occasion d’un discours, il lança un appel à ces personnes afin qu’elles déposent l’argent public sur un compte du Trésor, créé à cet effet, auprès de la Banque Centrale. Evidemment, personne ne répondit à cet appel du Chef de l’Etat. Au bord du désespoir, il menaça en disant que puisque son appel n’a pas été écouté, qu’il disposait d’un secret, dont il est le seul détenteur, de rendre ces importantes sommes d’argent thésaurisées, inutiles, en les transformant en du papier sans valeur. Et voilà que les billets de 10 000 et 5 000 FBu, les plus grandes coupures, sont visés par une mesure de démonétisation, avec effet immédiat. Le Chef de l’Etat avait pour objectif de sanctionner ces détourneurs, en rendant leurs butins nuls.

L’élément important dont le Chef de l’Etat n’a, peut-être, pas tenu compte, est que ces auteurs de détournement de fonds publics, sont, pour la plupart des intellectuels, et ont eu l’occasion de blanchir leurs butins, soit, par l’achat, en cash, de propriétés immobilières, des fois, en offrant des prix exorbitants, soit, de construire de grands immeubles, sans passer par les banques, soit, par l’achat de grands terrains dans la campagne, soit, en échangeant leurs trésors en dollars américains ou en Euros, qu’ils cachent jalousement dans des endroits discrets, et ceux qui le peuvent, les transfèrent dans des banques européennes, asiatiques ou africaines. Ces responsables ou anciens responsables de l’Etat, et leurs acolytes du secteur privé, affichent des fortunes, en termes de nombreux véhicules, dernier modèle, de nombreuses maisons à étages, et des comptes, non contrôlés par le Gouvernement, dans les banques étrangères. Selon les experts de la finance internationale, au Burundi, chaque année, plus de 100 millions de dollars sont détournés par les hauts responsables du pouvoir, en collaboration avec des hommes d’affaires et des agents des institutions internationales de financement. Cela s’élèverait a 1 milliard de dollars sur 10 ans, ce qui est énorme pour un pays pauvre comme le Burundi. Plusieurs projets pourraient être financés avec cet argent.
Aujourd’hui, ce sont d’honnêtes citoyens, qui ont épargné leur argent chez eux, qui souffrent de pouvoir échanger leurs billets, et qui risquent de les perdre si, à la date indiquée, ils n’ont pas pu les échanger.

Comme cela se remarque dans tout le pays, la mesure de démonétiser les billets de 10 000 et 5 000 FBu paralyse toute l’économie, il y a une panique générale au sein de la population, des commerçants ferment leurs magasins, en attendant que les nouveaux billets arrivent, les prix des denrées alimentaires augmentent, ce qui exacerbe la pauvreté. Le délai accordé pour pouvoir changer les billets incriminés est très court.

Par conséquent, au niveau économique, l’effet de la mesure est négatif. D’où la question de fond, que beaucoup de Burundais se posent : à quel problème la démonétisation des billets de 10 000 et de 5 000 FBu répond-elle ? En quoi aide-t-elle à réduire la pauvreté de la majeure partie de la population ? Espérons que le peuple burundais sera informé des impacts de cette mesure monétaire sur le bien-être de la population. Changer des billets est une simple opération technique, qui ne crée pas des richesses supplémentaires.

Le communiqué de la Présidence de ce 13 juin 2023 est des plus surprenants : « Le Chef de l’Etat, S.E. Evariste Ndayishimiye, comme il l’a promis aux Burundais, il a mis en avant le programme de relance de l’économie nationale (…). A cet effet, il suit de près le plan de redressement économique, en particulier, les meures annoncées par le Gouverneur de la Banque de la République, en date du 7 juin 2023 ». Il serait vraiment difficile de déceler en quoi la mesure de démonétisation de deux billets de banque, pour les remplacer par d’autres, constitue une mesure de redressement économique.

Evidemment, au cas où la rumeur de recours à la planche à billets, par le Gouvernement, se confirme, la situation monétaire du Burundi changera, et de façon négative. Car le Gouvernement aura imprimé des billets de banque pour faire face au manque de ressources en monnaie locale, sans que ces ressources ne correspondent à une quelconque production de biens et services correspondants.

La réglementation de la vente des devises étrangères : la loi de l’offre et de la demande

Avec l’Accord entre le Gouvernement du Burundi et le Fonds Monétaire International pour un Fonds Elargi de Crédit (FEC), la Banque de la République du Burundi a décidé de réintroduire le Marché Interbancaire de Devises (MID), permettant à toute banque commerciale ayant des excédents de liquidités de devises étrangères de les vendre auprès des importateurs. Les quelques bureaux de change agréés peuvent, également, recevoir de la Banque Centrale une provision de devises pour leurs opérations de change. Le cours de change de référence étant le taux moyen pondéré calculé sur base des opérations d’achat et de vente de devises traitées la veille par les banques commerciales.

Par ce mécanisme de MID, en date du 5 mai 2023, le Gouverneur de la Banque Centrale annonça que « le taux de change de 2 875,17 BIF/USD dégagé par le Marché Interbancaire de Devises (MID) de ce 4 mai 2023 servira, désormais, de taux de référence du marché officiel ». Le taux de change officiel passait donc de 1 USD = 2 069 FBU le 4 mai 2023, à 1 USD = 2 875 FBU. Par ce mécanisme subtil, le Franc burundais venait, ainsi, d’être dévalué de 38 %. Depuis lors, les opérations du MID se ralentissent progressivement, du fait de l’insuffisance de devises en provenance de la BRB.

Au niveau des bureaux de change, la situation est beaucoup plus complexe. Ils sont « entre le marteau et l’enclume ». Avec la garantie de 500 millions de Francs burundais exigée de chaque bureau de change, pour être agréé, un montant de chiffre d’affaires d’au moins 50 000 US$ par semaine, que ces bureaux doivent réaliser et un taux de change obligatoire de 1 $ = 2 875 FBu, les bureaux de change ne savent plus à quel saint se vouer. Ils ont une demande assez importante de devises étrangères, et le peu qu’ils reçoivent de la BRB ne suffit pas pour satisfaire la demande. Les bureaux de change affichent un taux de 1 $ = 2 875 FBu, ou légèrement supérieur, pour la forme, mais, en réalité, ils échangent le Dollar à 4 300 FBu ou plus. De même, ceux qui disposent des Dollars, les bureaux de change les achètent à plus de 4 000 FBu. C’est la loi de l’offre et de la demande.

Certes que, compte tenu des conditions rigoureuses exigées des bureaux de change, une bonne partie de ces derniers seront fermés. Mais les opérations de change vont se poursuivre en dehors du système officiel, et au fur et à mesure que les réserves en devises vont s’amenuiser, le différentiel entre le taux officiel de change et le taux du marché parallèle va continuer à se creuser.

La libéralisation du marché de devises n’est efficace que lorsque la Banque Centrale dispose suffisamment de devises pour approvisionner les banques commerciales et les bureaux de change. Le crédit de 261 millions de dollars US, dont le Gouvernement du Burundi a bénéficié du FMI, sera déboursé sur une période de 40 mois, et le déboursement de chaque tranche est soumis a certaines conditions, contenues dans la Lettre d’Intention que le Gouvernement a signée avec le FMI. A noter que le montant du prêt couvre, à peine, 30 % des besoins d’importations, et que de nouvelles sources de devises s’imposent.

La référence au secteur médical est bien appropriée, car les mesures prises, que ce soit pour le changement de billets de banque, ou le resserrement de la politique de change, ont un résultat nul sur le combat pour le redressement économique, ou plutôt, dans certains domaines, elles vont aggraver la maladie, en particulier, lorsque du fait de la paralysie du secteur du commerce et du cafouillage dans la mise à disposition de nouveaux billets, les prix des denrées alimentaires vont augmenter et exacerbant l’état de pauvreté.

Le combat pour le redressement économique nécessite plus que des paroles, mais des actions

Des déposants en attente d’être reçus
Des déposants en attente d’être reçus

Lorsque le Chef de l’Etat déclare que les mesures de changement de certains billets de banque et de resserrement de la politique de change constituent des actions de combat pour le redressement économique, il est difficile de le croire, car comme nous l’avons indiqué ci-haut, ces mesures n’ont aucun effet sur l’économie, ou plutôt, à terme, un effet négatif. Aussi, le slogan lancé depuis le début de son accession au pouvoir de « chaque bouche, de la nourriture, chaque poche, de l’argent », ne s’est pas encore matérialisé dans la vie quotidienne des Burundais moyens. La pauvreté et la faim touchent plus de 80 % de la population, avec plus de la moitié de la population en insécurité alimentaire en 2023. Les crises alimentaires multiples, la pauvreté urbaine, les hausses des prix des denrées de première nécessité, les effets des crises diverses, tous ces facteurs montrent bien que le Burundi est loin d’atteindre cet objectif du Chef de l’Etat.

Le combat contre la corruption est, encore, jusqu’aujourd’hui, un échec. Les institutions de lutte ne sont pas fonctionnelles, tandis que les acteurs des malversations ne sont pas inquiétés, ce qui donne au Burundi une mauvaise réputation, ce qui fait que les bailleurs et les investisseurs considèrent le Burundi comme un pays à risque.

Le combat pour le redressement économique du Burundi passera nécessairement par les 5 axes fondamentaux suivants : 1) la restauration de la paix et la stabilité, 2) l’investissement dans le secteur agricole, 3) l’adoption de vraies réformes économiques, 4) la restauration de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption, 5) la restauration de la coopération régionale et internationale. Des actions audacieuses sont nécessaires dans ces 5 axes si l’on veut que le Burundi sorte de cette pauvreté. Ce sont les vrais médicaments dont notre malade « BURUNDI » a besoin. Sinon, il continuera à s’affaiblir et la fin sera fatale. Personne ne le souhaite.

André Nikwigize : « L’urgence serait d’appuyer les populations par un meilleur encadrement, la fourniture gratuite d’engrais, les semences sélectionnées et promouvoir la mécanisation et l’irrigation. »

*André Nikwigize est burundais. Economiste politique, il a une large expérience professionnelle : directeur général de la Planification au Burundi, directeur exécutif au Secrétariat Exécutif de l’OBK au Rwanda, conseiller économique principal auprès des Nations Unies : Rwanda, Sénégal et New York.