Burundi
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Opinion* | Vers le besoin criant d’une CVR réellement indépendante et dévolue à la réconciliation ?

Les Burundais ne peuvent laisser quelques individus s’accaparer de notre mémoire collective. L’Etat ne doit pas tout faire à notre place alors qu’il s’agit de nos morts, aussi et après tout.

* Gérard Birantamije, Université Libre de Bruxelles

Au Burundi, quand on écrit sur les tragédies qui ont endeuillé les fils et filles du pays, des flèches fusent de partout. Parfois, l’auteur est présenté comme le « bourreau » par médias et réseaux sociaux rivalisant dans la calomnie. Comme dans la Fable du Loup et de l’Agneau  : «  si ce n’est pas toi, ce sont les tiens ». Et les stéréotypes font le reste.

Je ne voudrais pas que cette note d’opinion rende service aux sbires qui nous lisent et nous n’écoutent que leur subconscient parfois subliminal hérité et qui n’établit pas de distinguo. Dans notre histoire, la raison cède parfois aux instincts les plus primaires et rétrogrades.

Je voudrais que cette note soit un strapontin pour un sursaut national, pas un saut dans l’inconnu. Mais si la CVR actuelle semble se complaire de son bilan, des citoyens qui lui avaient donné le bénéfice du doute se disent déçus.

En effet, ces derniers temps des voix s’élèvent pour critiquer, voire contester à demi-mot ou ouvertement, les activités et les bilans d’étape présentés par le président de la CVR. Ces critiques sont transversales aux deux communautés qui revendiquent la mémoire et la lecture collectives sur les atrocités encourues.

Des questions qui méritent l’attention des uns et des autres portent sur la Loi CVR, sa composition, le rapport d’étape, le contenu de ce rapport, sa « marchandisation », et surtout le travestissement des faits, et les exhumations et sa décharge symbolique pour les victimes, les survivants, les Burundais d’ici ou d’ailleurs.

Ces questionnements, aussi longtemps qu’elles continuent de tarauder nos esprits, ne peuvent que générer de nouveaux stress post-traumatiques. Ces derniers vont se transmettre comme on le voit actuellement quasi ataviquement de génération en génération. Les gens qui véhiculent la haine ethnique par les nouveaux médias, la plupart n’étaient pas nés en 1972, si l’on s’en tient à cette date de la grande bascule.

Les médias classiques, les réseaux sociaux et les nouveaux médias offrent des tribunes variées aux acteurs plus accrocs à leurs idées parfois exemptes de l’idéal de réconciliation et de vérité comme l’annonce la CVR en mouvement. Le dernier débat sur la BBC au sujet (fascinant) des « Maï Mulele » et les attaques contre les Tutsi au sud du pays auront montré que le chemin à parcourir reste long et semé d’embûches. Et pourtant elles font tourner la CVR, qui plus est, ne manque de reprendre le narratif des plus « engagés », pour ne pas dire des enragés ou extrémistes.
Faut-il garder le statu quo et laisser la roue de l’histoire amasser autant de mousses comme si de rien n’était?

Oui, il y a un besoin criant d’une autre CVR

Il y a un besoin criant d’une autre CVR réellement indépendante et dévolue à la cause de la Réconciliation. Ce besoin est manifeste quoique latent en termes de revendication, peut-être que l’environnement ne s’y prête pas en ce moment. Seuls quelques organisations de la société civile et des médias en exil osent aborder cette thématique brûlante en donnant des émissions, en diffusant des récits de vie sur les périodes atroces. Cependant, cela ne dit pas que les Burundais sont convaincus et satisfaits du travail de l’actuelle CVR. Loin de là. La dialectique rundi le dit bien « Uburundi bugona bubona/buri maso » (ma traduction : ‘Le Burundi ronfle éveillé’).

Les Burundais ne sont pas dupes, certains peuvent le croire ainsi. Ce n’’est qu’un leurre. Entre deux coups de houes, des pauses café, en faisant la queue dans l’attente d’un bus ou d’être servi sur une station-service, entre deux cours à l’université, etc., ils commentent l’actualité, parlent de la CVR et de son bilan d’étape, de ses sorties médiatiques, de ses tweets ou de certains de ces commissaires par ailleurs hyper suivis. Une étude microsociologique serait à ce niveau révélateur.

Le besoin d’une autre CVR s’explique non pas seulement suite aux critiques formulées vis-à-vis de cette commission, de son mandat, de sa composition ou encore de ses communications. Il s’explique par le fait qu’il a généré dans le cœur et l’esprit des Burundais des attentes. Des attentes de lire la page et de la tourner. Des attentes qu’enfin le train de ‘la vérité et la réconciliation ‘ siffle à l’horizon proche. Que dans ce train nous allons enfin y monter ensemble au nom de la vérité et de la réconciliation .

Le besoin d’indépendance de la commission est aussi lancinant qu’interpellant. Certes la CVR est un mécanisme politique et en soi peut mobiliser des outils ou des appareils politiques. Nous l’avons vu avec la CVR sud-africaine ou les CVR en Amérique latine post dictature militaire (Chili, Argentine, etc.). Ce qui a sauvé les meubles, ce sont ces Hommes et Femmes (je mets les majuscules exprès) qui ont su se mettre au-dessus de la mêlée. Qui ont remarqué d’entrée de jeu qu’ils ont une mission historique à remplir. Qui ont compris que la Nation valait mieux que leurs états d’âme, leurs souffrances individuelles endurées, leurs tourments. Leur indépendance a soudé, recollé des morceaux épars des mémoires parallèles et (dé)politisées/ repolitisées.

Le besoin d’une CVR indépendante et dévolue à la réconciliation, c’est surtout la participation de tous ces fils et filles du pays pour donner voix au chapitre des atrocités. Vous êtes nombreuses et nombreux à avoir vécu ces scènes macabres ou assistés impuissant.e.s à des arrestations suivies de disparition ou tout simplement d’administration de la mort. Votre témoignage compte, votre parole peut décrisper cette atmosphère morose pratiquement alimentée par les nouveaux médias et réseaux sociaux qui peinent à comprendre le bien-fondé des C.V.R, la Burundaise en particulier. Le Burundais lambda pourra jauger son temps, « juger » si le moment de témoigner sur les autres atrocités est enfin propice. L’on ne doit pas se sentir enchainé pour une noble tâche d’éclairer l’histoire, de dé-paralléliser les mémoires.

Une CVR indépendante, c’est une CVR qui doit être transparente et publique. C’est cela qui permet d’engager un processus de vérité, de réconciliation et de justice. Cette indépendance, elle n’est pas de l’apanage des seuls commissaires. Les Burundais ne peuvent laisser quelques individus s’accaparer de notre mémoire collective. L’Etat ne doit pas tout faire à notre place alors qu’il s’agit de nos morts, aussi et après tout.

Ces personnes assassinées de sang-froid, portées disparues et disséminées dans des fosses communes, dans les rivières, etc., ce sont nos parents, nos familles, nos voisins, nos amis, nos camarades, ceux avec qui nous partagions le ‘cru et le cuit’ au quotidien. Nous les portons encore dans nos cœurs. Il n’y aura pas de vérité ni de réconciliation s’il n’y a pas notre implication directe et /indirecte. Des récits de vie sur ces épisodes macabres doivent être la trame de fond de notre apport. De leur confrontation jaillira la lumière qui illuminera la suite. C’est pour cela que quelqu’un, par des voies détournées, fut-ce membre de la commission ne doit chercher à prendre le dessus sur le langage, ce langage qui fait l’humain pour qualifier sans désemparer. Nous ne sommes pas là pour faire l’unanimité, mais plutôt pour que le travail fait soit ‘légitime et accepté par tous’ pour la cause commune, nationale et éternelle.

Le train de la CVR actuelle semble nous conduire droit au mur, nous clouer au pilori. Elle met son énergie à nous convaincre de nommer l’innommable, mais pas de le comprendre dans ses contours, dans les faits et dans les intentionnalités profondes des acteurs concernés ou impliqués. On dirait qu’il y a une ethnie qui se plairait d’arborer le statut sempiternel d’être victime  » des Génocides » avant l’autre. Non, il ne s’agit nullement d’une course aux crochets, il s’agit d’un mal absolu, d’un mal à combattre par tous les moyens. Un combat pour le ‘Plus Jamais ça’, et ce à l’unisson. Nul ne doit être à l’écart ni écarté. Il nous plairait tous d’être dans ce train du ‘Plus Jamais ça’ qui peine de siffler à l’horizon proche.

*Gérard Birantamije est chercheur en sciences politiques à l’Université Libre de Bruxelles. Ses recherches portent sur les politiques de paix et de reconstruction de l’Etat dans la région des Grands Lacs.

*Les opinions émises ici n’engagent que l’auteur.