Burkina Faso
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Élevage | Miguel Diendéré, ce « Général » à la tête d’une armée de mouches soldats noires

De retour au bercail après un séjour en France où il a bénéficié d’une expérience de gestion en ferme, Miguel Diendéré, zootechnicien de formation, se lance dans l’élevage de la volaille. Confronté au coût de plus en plus croissant des aliments de volaille sur le marché qui ne lui permettait plus de nourrir suffisamment ses poulets, ce jeune décide de développer une autre alternative : l’élevage de la mouche soldat noire. Cette mouche réputée pour sa larve contient plusieurs nutriments essentiels pour la volaille, les poissons et les animaux. En effet, selon des experts et observateurs, la larve de la mouche soldat noire a cette vertu de pouvoir booster la croissance des animaux, tout en renforçant leur système immunitaire. Et ce n’est pas tout ! Les déchets qui servent à engraisser la larve sont utilisés comme composts et évitent aux semences les attaques d’insectes nuisibles. Bref ! Pionnier du domaine, Miguel Diendéré est un commandant en chef d’une armée… de mouches soldats noires. Lisez !

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Résilient ! Ce qualificatif colle bien à la peau de ce jeune Burkinabè, eu égard à son parcours. À Ouahigouya, sa ville natale, où il disposait d’une ferme d’environ un hectare, Miguel Diendéré a dû abandonner son terrain avec tous les investissements, du fait de l’insécurité dans cette région au Nord du Burkina Faso, pour rejoindre Ouagadougou.

Obligé de tout reprendre à zéro, Miguel garde espoir et reste déterminé à poursuivre son activité devenue une passion pour lui. Il ne compte donc pas s’arrêter en si bon chemin. Il décide alors d’évoluer dans l’élevage des insectes notamment de la mouche soldat noire qu’il avait jadis expérimenté à Ouahigouya.

Avec ce projet, Miguel Diendéré ambitionne devenir un acteur majeur de la production d’aliments pour animaux d’élevage au Burkina Faso afin de contribuer à faire baisser les coûts liés à l’élevage et aussi à protéger l’environnement.

Miguel Diendéré, promoteur de la Ferme du Nord
Miguel Diendéré, promoteur de la Ferme du Nord/© Burkina24

« J’ai eu l’idée quand je suis allé en France en 2018 où j’ai travaillé dans deux projets de ferme. Là-bas, il y avait des méthodes inspiratrices pour pouvoir nourrir les animaux à moindre coût. C’était par la bioconversion notamment par la mouche soldat noire.

Et je me suis dit qu’avec les difficultés qu’on rencontre au Burkina Faso dans l’approvisionnement des aliments pour animaux, c’était une opportunité pour moi de retour au pays de pratiquer l’élevage de la mouche soldat noire qui est d’ailleurs adapté à nos conditions climatiques », avance-t-il.

Les difficultés deviennent une opportunité pour le « benguiste »

Dès son retour au bercail, le jeune « benguiste » accroche son costume et se met immédiatement au travail. Pas dans un bureau. Il choisit l’élevage. Miguel ouvre alors une ferme où il élève la volaille. Mais il est vite confronté au coût élevé des aliments sur le marché. C’est ainsi que l’idée d’asseoir une petite unité artisanale expérimentale d’élevage de la mouche soldat noire frappe à la porte de son esprit.

Pour mener à bien son projet sans procrastiner, il se jette tout de suite à l’eau avec, au départ uniquement, l’élevage des poulets parce que, dit-il, les prix des aliments ne faisaient qu’augmenter jour après jour. Il fallait donc trouver une solution palliative.

« Les prix des aliments sont passés de 12 500 à 14 000 FCFA, de 14 000 à 17 000 FCFA, et de 17 000 à 19 000 FCFA. Donc c’était vraiment insoutenable pour un éleveur. On n’arrivait plus à rentabiliser. C’est là que j’ai commencé l’élevage de la mouche soldat noire pour nourrir mes poulets », témoigne-t-il.

Voilà les larves de la mouche soldat noire
Voilà les larves de la mouche soldat noire/© Burkina24

Il explique qu’au bout de quelques jours lorsqu’il a commencé à nourrir sa volaille de la larve de la mouche soldat noire, il y a eu une grande différence en termes de croissance entre ses poulets et ceux de ses concurrents. Il atteste qu’il pouvait avoir des poussins de même jour avec ses concurrents mais après deux mois, la différence était si nette que les clients n’y croyaient pas. « Ils étaient presque mangeables », soutient-t-il.

« En termes de croissance et de santé, il n’y avait pas match entre mes poulets et ceux des autres fermes », ajoute-t-il. C’est après cette expérience donc que Miguel Diendéré renonce à l’élevage des poulets pour se consacrer exclusivement à celui de la mouche soldat noire. « Je me suis dit au lieu d’être un éleveur parmi des millions d’éleveurs, pourquoi ne pas être un éleveur d’insectes où on trouve moins de pratiquants afin de pouvoir résoudre ce problème de rentabilité chez les éleveurs de poulets et ceux qui font la pisciculture et autres », confie-t-il.

L’insécurité tue la poule aux œufs d’or à Ouahigouya

Au moment où il était prêt à basculer dans l’élevage de mouche soldat noire, la détérioration de la situation sécuritaire dans la région du Nord va le contraindre à abandonner tout ce qu’il avait mis en place pour son activité et même pour ses poulets, son activité de départ.

Miguel Dienderé en train de nous nourrir ses larves
Miguel Diendéré en train de nous nourrir ses larves/© Burkina24

« Et lorsque j’ai commencé à me dire que c’est un marché, on va maintenant produire pour des éleveurs, il y a le contexte sécuritaire qui nous a poussés à venir à Ouagadougou abandonnant tout ce qu’on avait investi. Quand je suis arrivé à Ouagadougou, je repartais à zéro », nous confie le jeune Diendéré.

Une fois à Ouagadougou, il n’abandonne pas. À court de moyens financiers, il commence son activité de façon artisanale avec les moyens du bord, comme on le dit. Miguel achète des moustiquaires et des grillages et met en place sa première serre faite de moustiquaires, nous fait-il savoir.

Ainsi, il débute son élevage de mouche soldat noire. Entre-temps, il participe à la compétition « pépites d’entreprises » (un concours qui soutient des jeunes entreprises innovantes), ce qui lui permet d’avoir un peu de sous pour poursuivre son rêve.

Quatre mois et c’est reparti !

« Quand j’arrivais à Ouaga, j’étais vraiment à la case départ, je n’avais plus rien. Et je me souviens, pendant ce concours, l’un de nos encadreurs nous disait qu’on ne nous demande pas d’avoir de grandes choses mais vous pouvez faire de petites choses mais bien faites. À Ouahigouya, j’avais presque un hectare et j’avais construit plusieurs compartiments pour mon élevage, je voulais quelque chose de grand. 

Il faut dire que quand je suis rentré de la France, j’ai investi toutes mes économies que j’avais afin de récolter grand. Mais lors de ce concours, j’ai compris qu’on peut aller étape par étape, doucement et devenir grand », dit-il.

Le PDG de la Ferme du Nord comme l'appellent ses proches
Le PDG de la Ferme du Nord comme l’appellent ses proches/© Burkina24

Miguel Diendéré a réussi à produire plus de 8 tonnes de larves de mouche soldat noire au bout de quatre mois après son arrivée à Ouagadougou en mars 2022. Là, c’était sans la serre moderne qu’il s’est doté maintenant. Il parvenait à élever que quelque 5 mille à 10 mille mouches. Mais avec sa nouvelle serre, il compte désormais élever plus de 500 mille mouches femelles afin de produire plus de 10 mille tonnes de larves séchées, tous les 10 jours. C’est l’objectif qu’il s’est assigné.

Avec la nouvelle serre moderne, Miguel a créé des conditions climatiques nécessaires pour pouvoir élever la mouche tout le long de l’année. En temps normal, explique-t-il, la mouche se reproduit de juin à octobre. Pour le moment, il ne commercialise plus les larves. Il les laisse pour qu’elles deviennent des mouches afin d’atteindre les 500 mille mouches femelles envisagées

« Actuellement, on ne vend plus les larves, on essaye d’avoir les larves de mouches qu’on va garder pour qu’elles se transforment en mouches. Car, l’objectif c’est d’atteindre 500 mouches femelles. Ainsi on peut les commercialiser parce que la demande est exprimée en termes de tonnes. On nous demande entre 10 à 15 tonnes par mois », fait-il connaître.

Il explique que lorsque la mouche pond des œufs au bout de deux à trois jours, ils éclosent. Mais pour recueillir ces œufs, il a placé des pondoirs qui sont des petites plaquettes faites de planches sur lesquelles les pontes se font. Après cela quand les œufs éclosent, il les dispose dans les matières organiques pour les engraisser.

« Avec 500 grammes d’œufs de mouches soldats noires, on a 5 tonnes de larves, ils vont se nourrir de matières organiques pendant environ 10 jours pour avoir des larves prêtes pour la consommation des poissons, des poulets et des porcs. Et ce n’est pas tout, on a aussi du compost pour l’amendement des champs », explique-t-il.

Miguel Diendéré note qu’en dehors d’être une protéine qui booste la croissance des animaux, la larve de la mouche soldat noire contient de l’acide laurique qui maintient la flore intestinale de l’animal. Et renforce ainsi le système immunitaire de l’animal contre plusieurs maladies qui sévissent régulièrement dans les fermes. « En quelque sorte, nourrir ses animaux avec la larve c’est comme si vous leur donnez une nourriture et un médicament à la fois », soutient-il.

Une expérience concluante avec une chimiste 

Après des recherches avec une chimiste qui collabore avec lui, ils découvrent que dans son environnement, la mouche soldat noire se nourrit du nectar. Grâce à cette découverte, il réussit à prolonger la durée de vie des mouches qu’il élève entre 35 à 60 jours.

« Et lorsqu’on lui donne du nectar, la mouche emmagasine plus d’énergie qui booste sa durée de vie et la ponte, en ce sens que la ponte de la mouche soldat noire dépend de ce qu’elle consomme comme énergie. Là c’est vraiment une étude du laboratoire qui nous a permis d’apporter notre plus-value dans l’élevage de la mouche soldat noire », s’en félicite-t-il.

Miguel Diendéré a d'autres avec les larves de la mouche soldat noire/© Burkina24
Miguel Diendéré a d’autres avec les larves de la mouche soldat noire/© Burkina24

La larve de la mouche soldat noire n’est pas seulement profitable aux animaux. On peut bien en faire d’autres choses avec. Et Miguel a déjà une idée de projet dans ce sens. Il vise à produire du bio-carburant à base de la graisse de cette larve. Également, il envisage avec la chitine, que contient la larve, fabriquer des plastiques biodégradables.

« C’est dire qu’à la longue, on pourra prendre des vêtements usés qu’on pourra faire des mélanges avec la chitine pour faire des plastiques biodégradables et prendre la graisse de mouche soldat noire parce que le but c’est de faire un concentré. C’est-à-dire lorsque nous ferons sécher les larves, il faut avoir des presses à huile où on va presser des larves pour faire un concentré de graisse à part pour en faire du biocarburant », annonce-t-il.

Le Larlé Naaba Tigré, qui possède des milliers d’hectares de ferme où il fait de la pisciculture, l’élevage du poulet local et d’autres projets agropastoraux, estime que l’élevage de la mouche soldat noire dont la larve contient de la protéine essentielle pour la volaille est un grand espoir pour le secteur d’élevage au Burkina.

Larlé Naaba salue l'initiative d'élever la mouche soldat noire/© Burkina24
Larlé Naaba salue l’initiative d’élever la mouche soldat noire/© Burkina24

Avisé, le Larlé Naaba, ministre du Mogho Naaba, a identifié un jeune qu’il a envoyé se former auprès de Miguel Diendéré. Avec ce jeune, il envisage lancer un autre projet qu’est l’élevage des ténébrions, un secteur effectivement que Miguel connait bien. Il a d’ailleurs commencé avec ses insectes dans sa ferme.

« Vous savez dans des pays développés en Europe ou en Asie, les gens sont déjà engagés dans l’élevage des insectes. Quand les gens disent que les Chinois mangent les mouches, ce ne sont pas les mouches des pourritures, ce sont des mouches spécifiques comme le ténébrion qui est une mouche qui est aussi mangée par les poissons et les poulets. Les poulets aiment les insectes tout comme les poissons », renseigne le Larlé Naaba.

Une opportunité pour le Larlé Naaba

Le ministre du Mogho Naaba dit voir dans l’activité du jeune Miguel, une opportunité pour lui qui dispose de plusieurs étangs de poissons afin de rentabiliser ses investissements consentis non seulement dans le domaine de la pisciculture mais également dans l’élevage du poulet local. Car, les aliments coûtent énormément chers.

« Vous savez le poulet local est en danger, il est en disparition, il faut des aliments vraiment qui renforcent leur immunité pour pouvoir les préserver. Sinon que si c’est seulement que le poulet importé qui est traité et nourri au détriment du poulet local, un jour comme dans beaucoup de pays, le poulet local va disparaitre (…).

La poule locale est très agréable parce qu’elle mange les choses de la nature. La mouche soldat noire comme le ténébrion sont des insectes qui ont vraiment beaucoup de protéines, qui ont beaucoup d’éléments qui immunisent le poisson et le poulet afin que certaines maladies, par exemple pour la poule, ne se développent pas », admet-il.

Denis Kiendrébéogo,promoteur de l’entreprise Agri-Tenga
Denis Kiendrébéogo, promoteur de l’entreprise Agri-Tenga

Nous sommes également allés à la rencontre d’un acteur qui vient de découvrir la larve de la mouche soldat noire. Lui, c’est Denis Kiendrébéogo. Il est promoteur de l’entreprise Agri-Tenga qui évolue dans la pisciculture, l’installation des fermes piscicoles, le suivi et la formation.

Ce dernier nous fait savoir que naturellement, les poissons se nourrissent des insectes qui tombent dans l’eau. Ce qui, à l’écouter, fait que les poissons aiment manger la larve de la mouche soldat noire.

La mouche soldat noire pour réduire les coûts

« En plus, les larves de la mouche soldat noire sont très protéinées ; ce qui est recommandé pour l’alimentation des poissons », argue-t-il. Il plaide pour un accompagnement de l’élevage de la mouche soldat noire, car ce projet, soutient-il, permettra de réduire les coûts en termes d’aliments. Il affirme que depuis qu’il nourrit ses alevins de la larve de la mouche soldat noire, ils croissent rapidement et ne meurent plus comme avant.

« La larve de la mouche soldat contient entre 49 et 53 % de protéines, ça veut dire que dès que vous l’utilisez, vous allez booster la croissance de vos poissons, en plus elle est moins chère. Et depuis que j’utilise cela, il y a mon coût d’aliment qui a baissé et j’ai de très bons résultats », complète-t-il.

Moussa Ouédraogo est conseiller d’élevage et de santé animale à la direction générale des productions animales. Il assure que l’élevage de la mouche soldat noire est la bienvenue au Burkina Faso dans la mesure où cette mouche est utilisée pour la lutte biologique dans un premier temps.

« Et deuxièmement et le plus important, la production de ces larves destinées à l’alimentation des animaux domestiques. Les larves de la mouche soldat noire sont une source de protéines très importantes pour certains animaux domestiques, notamment la volaille et le poisson. Ce qui permet alors de booster leur croissance », ajoute-t-il.

Miguel ne veut pas détenir le monopole de l’élevage de la mouche soldat noire au Burkina Faso bien qu’il en soit l’un des pionniers. En bon Burkinabè, intègre, il compte former plusieurs autres jeunes et mettre en place des coopératives à travers le pays, afin de réduire le coût des aliments des animaux d’élevage.

Willy SAGBE

Burkina 24 

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