Admirateur de Thomas Sankara dont il affirme avoir épousé l’idéologie pour forger sa conscience politique, Succès Masra est économiste de formation et l’un des grands acteurs de la scène politique tchadienne actuelle. Courageux, ambitieux et déterminé à « transformer la vie des Tchadiens », il a vu ses rêves s’estomper et sa candidature à la présidentielle de 2021 recalée, pour cause qu’il n’avait pas l’âge requis pour briguer la magistrature suprême. Le défunt président Idriss Deby avait verrouillé les textes à telle enseigne qu’il fallait être âgé de 40 ans ou plus pour candidater. De passage à Ouagadougou, dans le cadre d’une tournée d’enracinement de ses idéaux, Dr Succès Masra s’est exprimé au Micro de Burkina24. Lisez !
La suite après cette publicité
Burkina24 (B24) : Que justifie votre présence au Burkina Faso ?
Succès Masra (SM) : Je suis venu au Burkina Faso, parce que j’ai une admiration pour Thomas Sankara, qui a nourri un peu ma conscience politique. Et en tant qu’acteur politique aspirant à présider à la destinée du Tchad pour transformer la vie des Tchadiens, convaincu que le panafricanisme c’est avoir des dirigeants serviteurs pour nos pays, il était tout à fait naturel pour moi de venir à la source, dans le pays d’origine d’un des hommes les plus importants pour l’Afrique du 20e siècle.
Qui avait d’ailleurs prédit que même si sa vie était emportée, il y aurait de milliers de Sankara. Donc je suis venu prononcer à partir de Ouagadougou, un discours qui s’adresse à la fois à mes compatriotes qui sont nombreux ici, mes compatriotes tchadiens mais aussi mes compatriotes africains sur le fait que nous devons être des milliers de Sankara maintenant.
Pas demain ! Maintenant pour essayer de puiser le meilleur de ce qu’il nous a laissés quelque part, et en faire quelque chose qui est adapté aux défis du 21e siècle qui, à mon sens, ce sont les défis de leadership serviteur et de transformation de la vie des Africains.
Burkina24 (B24) : Avez-vous des relations particulières avec les nouvelles autorités du Burkina ?
Succès Masra (SM) : Je veux bien avoir des relations particulières avec tout le peuple burkinabè. C’est ça qui est le plus important. Parce que ce dont nous parlons, ce sont des choses qui vont au-delà des personnes et des individus. C’est plutôt ce qui concerne la destinée de nos peuples dans la durée, indépendamment de qui exerce une responsabilité.
Mon ultime conviction, c’est que l’avenir de l’Afrique est dans la démocratie et le leadership serviteur. Évidemment, je discute avec tout le monde, tous ceux qui peuvent échanger dans ce sens, directement ou indirectement. Mais j’avais un rendez-vous. Qui était un rendez-vous important pour moi.
Cette rencontre avec mes compatriotes qui sont ici. Ils sont nombreux. Il y a des étudiants, mais il y a des gens qui ont été formés, qui sont restés ici : médecins, architectes, ingénieurs, etc. Et qui sont autant d’énergies positives que nous devons utiliser demain pour transformer notre pays. Pour moi, l’essentiel de la mission était aussi cela.
B24 : Que pensez-vous de la chute du défunt président Deby ?
SM : Je l’ai vu quatre semaines avant sa mort. Le 16 mars 2021, il est décédé autour du 17 avril 2021 c’est-à-dire un mois plein presque jour pour jour. J’étais allé lui dire qu’il pouvait choisir la vie plutôt que la mort.
Choisir la vie, c’est refuser d’entendre ceux qui lui disaient qu’il pouvait s’auto-décréter président, Premier ministre, ministre de la défense, sultan de son village et puis plus tard maréchal. Vous voyez, tout ça pour un homme qui a laissé un pays qui est dernier au monde en termes de développement.
Après 5 mandats, après 30 ans, après 1000 ministres et 20 Premiers ministres, il avait le choix de laisser les choses et puis de continuer à nous conseiller sur les questions sécuritaires pour lesquelles il n’était pas nul. Il n’avait pas un bilan nul.
Donc, nous pouvions bâtir quelque chose sur cela, mais les Tchadiens, ce qui les intéressent aujourd’hui c’est la sécurité et à la fois, le développement. Nous lui avons proposé plutôt de choisir la vie en organisant un dialogue et en laissant que les élections se passent avec tout le monde. Et lui, il transmettra le pouvoir à celui qui sera élu.
Il (Deby, ndlr) continuera à être comme un vieux sage qui nous aura permis de faire la toute première transition démocratique de l’histoire de notre pays. Il a choisi plutôt, l’autre chemin, parce que ses conseillers et lui-même obnubilés, peut-être par la routine du pouvoir, il a fini par prendre ce chemin. Nous aurions souhaité qu’il soit vivant pour voir la transformation qui va s’opérer et le destin en a décidé autrement, et c’est regrettable.
Mais, il faut tirer des leçons de cela, il faut laisser les morts enterrer les morts, il faut regarder l’avenir en tirant les leçons de manière à ce que nous puissions aller de l’avant, de manière plus sûre maintenant pour l’avenir.
L’autel de la vérité
Le dialogue devant nous, on doit tirer les leçons de pourquoi le président Deby est mort au front ? Pourquoi les dialogues passés n’ont pas réussi ? C’est à l’autel de la vérité, de la sincérité et aussi de la bonne foi que nous devrions tous aller.
B24 : Aujourd’hui, comment voyez-vous l’avenir du Tchad ?
SM : C’est l’opportunité dans l’adversité. Plein d’espérance. Vous savez, c’est comme la douleur de l’accouchement. Et c’est comme l’obscurité avant la levée du jour. Il est minuit peut-être dans le cœur des Tchadiens, mais le jour va se lever d’une certaine manière.
Nous travaillons pour que justement nous arrivions à cette sorte de terre promise, de justice, d’égalité et d’opportunité pour tous les Tchadiens. Nous sommes plein d’espérance, en ayant une pleine conscience sans naïveté des défis qui sont là. Et c’est brique après brique que nous sommes en train de construire ce nouveau Tchad-là, avec un peuple qui s’est résolument mis débout.
B24 : Quelle appréciation faites-vous de la gestion du pouvoir par la junte ?
SM : Ils sont en transition. L’identité, c’est important. Ils sont en transition pour laisser la place à ceux qui seront choisis par des Tchadiens. Ils ont un peu perdu du temps sur des propositions, des choses que l’intelligence collective des Tchadiens avait mis sur la table.
Ils ont passé par exemple 8 mois avant d’accepter l’idée de la souveraineté du dialogue. Ils ont passé 8 mois avant d’accepter l’idée du fait que la future constitution soit approuvée par référendum et du coup, comme ils n’ont pas mis sur la table toutes les intelligences, eh bien, une fois, deux fois, trois fois, on a dû différer le dialogue qui devrait avoir lieu.
Les conditions d’objectivité
Ce, à quoi, je les appelle c’est à se retenir, à revenir à la raison, d’associer toutes les intelligences pour que justement, nous puissions dialoguer. Il y a deux camps aujourd’hui qui doivent se retrouver afin de mettre tous les Tchadiens autour de la table avec les conditions d’objectivité que nous avons mis sur la table.