Guinea
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INTERVIEW. Bailo Teliwel Diallo, ancien ministre : « c’est tout le système éducatif qui mérite d’être réaménagé »

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Bailo Teliwel Diallo est ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Dans une interview -à bâtons rompus- qu’il a bien voulu accorder à Mediaguinee, ce grand amoureux de la terre a fait le diagnostic sans complaisance de l’éducation nationale, situé les responsabilités et proposé des pistes de solution. M. Diallo a également évoqué avec pertinence la question de l’introduction des langues nationales dans les programmes scolaires en Guinée. Non sans donner son avis sur la situation socio-politique du pays. Première partie de l’interview…

Mediaguinee : Vous avez été ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Avec un peu de recul, quelle analyse faites-vous de l’éducation guinéenne en général et de l’enseignement supérieur en particulier ?

BTD : C’est une question extrêmement pertinente, actuelle et complexe. Il faudrait des heures et des heures si je veux vraiment dire des choses qui aient du sens en profondeur. L’éducation, et l’enseignement supérieur plus spécialement, sont des domaines d’une très grande complexité. Beaucoup d’acteurs interviennent dans ce domaine qui les concernent directement ou indirectement. Chacun a, légitimement, une opinion, chacun a une réflexion et chacun a évidemment des questionnements et des propositions. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de choses à mettre en cohérence, certaines à élaguer, sur lesquelles il faut échanger, approfondir pour avoir les opinions de l’ensemble des acteurs, de l’ensemble des intervenants, à commencer par l’État mais bien sûr, mais aussi les familles, les communautés, les élèves eux-mêmes, les partenaires au développement et d’autres organisations de la société civile intéressées par les questions de l’éducation, les religieux, les éducateurs etc.. La tendance actuelle est de débattre des questions pratiques, concrètes. Immédiates, comme la formation et le recrutement des enseignants, les manuels, la façon d’organiser les examens. Mais on ne mesure pas suffisamment que ces questions immédiates et donc les réponses immédiates sont déterminées par des questions qui sont plus en profondes encore, plus complexes encore et qu’il faut également prendre en considération des déterminants qui ne relèvent pas nécessairement de l’éducation. Voilà le contexte que je veux d’abord préciser. Maintenant, pour l’enseignement supérieur, c’est encore plus complexe parce que l’enseignement supérieur est l’héritier et le résultat de tout un processus qui démarre depuis le préscolaire et qui aboutit à ce niveau d’enseignement. Et à ce niveau, il faut intervenir encore des éléments beaucoup plus complexe que les niveaux préscolaires, primaires et secondaires, comme par exemple le projet de société, les projets et programmes de développement, la relation plus forte avec le milieu professionnel et non professionnel, le marché de l’emploi, la mondialisation, les avancées de la science et de la technologie etc. Maintenant, en tant que ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, j’étais bien conscient de toutes ces problématiques, et je pense que tous les ministres le sont plus ou moins.. Dès que tu t’assois dans le fauteuil, tu commences à voir très concrètement tous les éléments qui interviennent et qui interfèrent avec ta décision et qui te font rapidement comprendre que tu n’es pas tout puissant. Ce n’est même pas que quelqu’un qui ait la volonté de te freiner mais, ce que tu as tellement de choses à prendre en compte ! Tu dois réfléchir suffisamment pour voir sur quels types de réformes tu peux avancer, des réformes stratégiques, des réformes opérationnelles, des réformes immédiates, des réformes fonctionnelles, des réformes institutionnelles, des réformes humaines. Et tous les jours, tu es assailli par des problèmes, il faut gérer ces situations là. Voilà un peu ma première réflexion. Comme tous mes prédécesseurs, j’avais une vision, j’avais un projet, un ensemble de projets mais que je n’ai pas élaborés seul. Je les ai élaborés avec mon cabinet et avec d’autres personnes. J’ai fait de mon mieux pour obtenir quelques avancées. Certaines de ces avancées sont aujourd’hui acquises, d’autres sont encore en cours de développement et d’autres n’ont pas malheureusement pu être, à ce moment là, réalisées. Le ministre Yéro et la ministre actuelle, Mme Diaka, ont obtenu des avancées remarquables sur des points très importants. Pour ma part, j’espère que ceux auxquels je dois ce service, les étudiants, les enseignants et les chercheurs en particulier, ont été plus ou moins satisfaits. Je ne pense pas qu’ils l’aient été à 100 %, moi-même je ne le suis pas, mais j’espère qu’ils sont plus ou moins satisfaits, chacun d’eux sur un point ou un autre de ses attentes.

La Guinée a enregistré des résultats catastrophiques cette année dans les différents examens nationaux. Selon vous, à quoi est dû ce fiasco ?

BTD : Encore une fois, il y a tellement de facteurs qui interviennent dans l’éducation. Il y a les attentes, il y a les moyens existants etc. Mais en premier lieu, il y a la relation du maitre (enseignant) et l’élève. Quel est le rôle du maitre et quel est le rôle de l’élève ? les causes immédiates, directes, des échecs, et aussi des réussites, sont à chercher dans cette relation. Mais, ensuite, il y a l’environnement autour du maitre et l’élève. Pour répondre à la question, il faut faire un peu ce que le professeur Bano Barry a fait suite à l’examen qu’il a analysé en tant que sociologue. Il a identifié des déterminants et a montré comment ces déterminants là interviennent dans les résultats de l’école. C’est ça qu’il faut faire après chaque examen pour faire ressortir et échanger sur les forces et les faiblesses, et voir comment avancer, en ne laissant personne, ceux qui ont « échoué «, au bord de la route. il ne faut pas se précipiter. Parfois, je compare le système de l’éducation à ce qui se passe sur le terrain de football. Quand tu as cent mille spectateurs et que tu as vingt et deux joueurs qui s’affrontent avec un arbitre, chacun des cent mille spectateurs a une façon de jouer : » ah ! Il aurait dû donner la passe, mais pourquoi il ne court pas vite… », ainsi de suite. Alors, l’éducation c’est un peu ça. Chacun est impliqué, donc, chacun a un avis, et c’est légitime ! Mais le croisement de tous ces avis est assez compliqué. Evidemment, il y a des responsabilités, et elles ne sont égales selon les acteurs. La première responsabilité, c’est l’État. C’est l’État, qui définit la politique éducative et au-delà, qui met les ressources dans le système, qui a la responsabilité de construire des établissements, de former des enseignants en nombre et en qualité, de définir des règles, ainsi de suite. Mais en plus, il y a aussi les autres acteurs qui ont des parts de responsabilité, les familles, les parents des élèves, les communautés, les intellectuels, les leaders d’opinion, les religieux même etc., et bien sûr il y a les élèves eux-mêmes. Il faut, en fonction de ces responsabilités partagées, même de façon inégale, dégager ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Quand l’échec est aussi massif, c’est celui qui a le plus de responsabilités qui est en échec, et donc c’est L’Etat, qui, d’une façon ou d’une autre, qui a échoué. Mais ça, c’est souvent de l’ordre des explications immédiates. Et donc, certainement, il y a beaucoup de choses à améliorer au niveau des politiques éducatives mises en œuvre par l’Etat. Le ministre actuel a touché quelques uns des éléments : la façon d’organiser les examens par exemple. Mais il faudra aller beaucoup plus loin, et toucher le système éducatif en tant que tel.

A qui faire porter le chapeau de cet échec qui fait couler beaucoup d’encre et de salive ?

BTD : Le terme porter le chapeau me semble biaiser le problème. Est-ce qu’il y a une faute liée à un acteur déterminé ? Il y a des responsabilités et chacun des acteurs a un degré de responsabilité. Encore une fois, la responsabilité la plus élevée, c’est l’État. Mais, ça ne dispense pas les autres acteurs d’avoir aussi des parts de responsabilité. Depuis de nombreuses années, il semble que l’État n’a pas su assumer beaucoup de ses parts de responsabilités. Mais attention, il y a une crise mondiale de l’éducation. On a tendance à croire qu’il n’y a qu’en Guinée que des résultats catastrophiques de ce genre sont enregistrées. Aujourd’hui, la planète éducation s’interroge énormément sur qu’est-ce qu’il y a à faire ? J’ai eu des entretiens avec des experts de l’Unicef et de l’Unesco, et aussi avec des amis et des camarades autour de la problématique de la qualité de l’enseignement. Depuis plus de quarante (40) ans, réformes, réformes, réformes, réformes. Aux constats de chaque grande faiblesse, on réforme. Mais lorsque tu fais l’analyse des recommandations qui ont été faites depuis plus de 40 ans, tu retrouveras à peu près les mêmes recommandations. Pourquoi les mêmes constats et pourquoi les mêmes recommandations depuis 40 ans ? Cela devrait nous amener à poser des questions plus fondamentales. Je ne suis pas le donneur de solutions mais je peux contribuer à la réflexion, sachant que les problèmes de fond, ce n’est pas propre à la Guinée. Il y a les spécificités guinéennes mais, ce n’est pas, fondamentalement. J’ai mon idée, j’ai ma théorie, qui serait trop longue à expliquer ici mais que je résume en un paradigme – celui de la marchandisation de la société, et donc de l’éducation.

A votre avis, quelles solutions pour une éducation de qualité en Guinée avec des résultats enviables ?

BTD : C’est toujours le même problème. Il faut d’abord que les rôles soient bien définis, que les attentes soient bien définies. A partir de là, que des stratégies, des ressources, des méthodes, des pédagogies et des systèmes de suivi et évaluation soient élaborés avant qu’on ne dise voilà les solutions concrètes aux problèmes concrets que les élèves et les enseignants rencontrent en classe. Certainement, il y aura des améliorations. Ça s’améliore déjà depuis un certain temps. Quand tu prends certains indicateurs, par exemple le taux brut ou le taux net de scolarité, le taux il y a quelques améliorations sur la durée. Même en milieu rural, il y a quelques améliorations. Mais les améliorations sont nettement insuffisantes, trop lentes, trop coûteuses à obtenir. Et trop souvent, malheureusement, au lieu d’avoir des améliorations, c’est des hauts et des bas. Nous obtenons des améliorations et puis après, ça recule. Pourquoi ça recule ? Là aussi, il y a beaucoup d’éléments qu’il faut analyser. Il faut que l’État précise et assume son rôle, en dégageant plus clairement et plus efficacement les responsabilités qui relèvent des services centraux, celles qui relèvent des services déconcentrés, celles des collectivités, celles des partenaires locaux, des ONG, etc. Et en fonction de ses responsabilités, mettre à disposition les ressources nécessaires. Mais, il faut également que tous les acteurs aussi précisent leurs rôles et disent leurs attentes. L’attente de l’État vis-à-vis de l’école, c’est quoi ? L’attente des parents d’élèves vis-à-vis de l’école, c’est quoi ? L’attente des élèves vis-à-vis de l’école, c’est quoi ? Apparemment, ce sont des questions simples, mais dès que l’on te proposes une réponse, et que tu commences à questionner la réponse, tu te rend compte que ce n’est pas aussi clair, ce n’est pas aussi évident qu’on ne le pense.

Parlons à présent de l’enseignement technique où les nouvelles sont encourageantes. Est-ce une alternative que doit saisir les autorités pour bâtir une éducation forte ?

BTD : Ce n’est pas une alternative, c’est une nécessité. Un pays en voie de développement où le retard technologique, économique est énorme, on a besoin de former des ressources humaines qualifiées depuis l’ouvrier jusqu’au niveau de l’ingénieur et du technicien supérieur, et en très grand nombre en fonction de l’accélération de la croissance. Ce pays là ne peut pas négliger l’enseignement technique et la formation professionnelle. Or, depuis plus de quarante (40) ans, c’est le secteur qui a été négligé. Tout le monde est sur l’enseignement général. On a reformé plusieurs fois l’enseignement général et l’enseignement supérieur et on a plus ou moins marginalisé, en termes de ressources, en termes de réflexion et en termes de définition des attentes, l’enseignement technique et la formation professionnelle. On n’a pas réussi à rétablir une incrustation de l’enseignement technique et de la formation professionnelle dans son milieu d’avec les professionnels. Le ministre actuel (Alpha Bacar Barry) a obtenu des avancées très importantes et je pense que la tendance à la marginalisation de la formation professionnelle est maintenant inversée. Mais c’est tout le système éducatif qui mérite d’être réaménagé. Quelles relations entre le primaire et l’enseignement technique et la formation professionnelle ? Quelles relations entre le secondaire 1er degré et l’enseignement technique ? Quelles relations avec le lycée et l’enseignement technique ? Et quelles relations avec l’enseignement supérieur ? Et quelles relations entre tous ces ordres d’enseignement et leurs milieux professionnels et non professionnels, dans une économie où les ¾ des activités relèvent de l’informel et la pauvreté intense et endémique ? Quand le gouvernement dit par exemple, notre priorité, c’est l’agriculture, quelle implication forte doit-on en déduire sur l’enseignement technique et la formation professionnelle liée, adossée à l’agriculture ? Mais, est-ce que les parents d’élèves sont d’accords avec ces implications ? Est-ce que les communautés sont d’accord ? Et quels sont les professionnels de l’agriculture sur lesquels adosser cette priorité ? Tu vois la complexité des choses. Si on dit simplement qu’il faut construire des écoles, il y a eu un effort de construction et d’équipement d’écoles. Les ERAM (écoles régionales des arts et métiers), c’est le régime précédent qui les a construites, bien qu’il y ait beaucoup de choses qui sont en train d’être redressées et complétés. Durant la 1ere République, il y a eu beaucoup d’avancées comme les CPF, il y a eu les FAPA pour l’agriculture, l’Ecole Nationale des Arts et Métiers, le CEPERTAM, Le CEPERMAG etc. Mais à parler franchement, tu peux toi-même constater, qu’il y a une réticence des bénéficiaires pour dire ah, moi je veux faire l’agriculture, moi je veux aller étudier dans le monde rural. Bien que tout le monde admette que c’est dans l’agriculture qu’il y a l’emploi, on dit que c’est là qu’il y a la croissance, que c’est là où il y a l’innovation, mais pratiquement personne ne veut que son enfant y aille, pourquoi ? Ce n’est pas la faute aux parents hein. Ce n’est pas la faute à l’enfant. Ça signifie que c’est le système qui doit être interrogé sur les attentes, sur les finalités. Quelle finalité le système donne à l’école ? Et quelle finalité le parent d’élève donnent à l’école pour son fils et quelle finalité l’élève lui-même se donne pour l’école ? C’est quand tu croises toutes ces finalités là que tu commences à te dire comment ajuster, comment harmoniser et comment motiver et encourager les uns et les autres sur leurs finalités et sur les priorités de l’État, les priorités du parent d’élève et les priorités de l’élève.

La recherche scientifique est considérée comme le parent pauvre de l’éducation guinéenne. Qu’avez-vous à proposer pour booster ce domaine qui manque de tout ?

BTD : C’est le plus grand désastre de la Guinée, et plus généralement, des pays en développement africains. Ce n’est pas normal qu’un continent tout entier ne dispose pas de centres de recherches d’excellence classés dans les meilleurs centres du monde. Certes, on a quelques centres qui font des résultats de recherche, mais on devait être parmi les premiers dans de nombreux domaines. A commencer dans les domaines où les besoins de l’Afrique sont énormes. Je viens de terminer un article que j’ai titré d’ailleurs « Du Prométhée noir aux jeunes diplômés sans emplois ». Durant la 1ere République, on avait commencé à bâtir un ensemble d’institutions de recherche assez robuste pour amener la science et la technique jusque dans la case du paysan. C’était le mot d’ordre. Et si tu vois la fresque qui est sur le bâtiment principal de Gamal (Université de Conakry), c’est le Prométhée noir entrain d’amener la lumière de la science et de la technique au monde. Mais de réformes en reformes, avec la marchandisation libérale, on a produit une masse incroyable de jeunes diplômés sans emplois. Ça signifie qu’il y a un vrai problème pour faire de la recherche le levier et le moteur du développement. Je donne l’exemple avec ce qui s’est passé avec le Covid. Quand le Covid-19 a éclaté, les grandes puissances se sont mises à la recherche du vaccin. On a dit aux africains, il y aura des millions de morts chez nous. On est resté assis, on a croisé les bras et on a attendu que les autres trouvent le vaccin pour nous précipiter vers ces autres là et leur dire, s’il vous plait, donnez-nous un peu des vaccins. Les autres ont répondu : on commence par nous, quand on sera satisfait, on va voir ce qu’on va vous donner. Cette réponse est cynique mais c’est ça la réalité. Alors, si on ne place pas la recherche en tant que moteur, levier et secteur prioritaire de l’État, de la société, de la nation, de l’Afrique toute entière en mettant nos ressources en commun, si on ne le fait pas, on va disparaître de cette planète d’une façon ou d’une autre. (La seconde partie de l’interview, à venir)

Réalisée par Sadjo Bah