Gabon
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Réforme annoncée de la sécurité sociale : Aux quatre vents

Le gouvernement aura beau parier sur une administration provisoire ou un nouvel organe de contrôle, les chiffres ne correspondent pas aux ratios prudentiels et de performance définis par la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (Cipres).  

Pourquoi la CNSS aurait-elle besoin d’un nouvel organe de contrôle ? Pourquoi le gouvernement doit-il mettre sur pied une administration provisoire ? N’est-ce pas symptomatique d’un exécutif ballotté aux quatre vents ? © Gabonreview

À la faveur du Conseil des ministres du 07 juin courant, le gouvernement a pris la mesure de la gravité de la situation. Cherchant à éviter la faillite de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), il a dénoncé les «profonds dysfonctionnements dans l’accomplissement de la mission de service public». Se disant attaché au «bien-être des populations en général et des assurés sociaux en particulier», il a initié une «réforme de la mission gouvernementale de protection sociale.» Concrètement, il a adopté trois projets de textes visant à une refonte de l’organisation la CNSS : décret portant dissolution du Conseil d’administration et cessation des fonctions des membres de la direction générale, décret instituant une administration provisoire, et décret instituant un Comité de surveillance et de contrôle des organismes de protection sociale.

Privilège du Trésor public

Sans doute pour mieux marquer les esprits, le gouvernement s’est voulu pédagogue, annonçant l’entrée en vigueur de mesures «entérinées» par le Conseil des ministres. Comme pour rassurer les septiques ou donner de l’espoir aux ayants droit, il a fixé l’étendue et la durée du mandat de l’administration provisoire : «assurer l’administration, la gestion et la réforme de la CNSS sur une période de 12 mois.» Pour couronner le tout, il a procédé à la nomination du préposé à la mission : Christophe Eyi, un ancien directeur réseau clientèle des entreprises à la Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Gabon (Bicig), par ailleurs ancien directeur général adjoint de la Caisse des dépôts et de consignation (CDC) et président du Conseil d’administration de la Société nationale immobilière (SNI). À l’évidence, l’exécutif mise sur la capacité de l’homme à convaincre les établissements de crédit de s’impliquer dans cette opération de sauvetage.

Seulement, l’on se demande si nous sommes bien en face d’une question d’homme ou d’une autre, plus profonde, touchant à la pratique politico-administrative. Comme le rappelle l’universitaire Augustin Emane, «c’est au regard des règles qui régissent (la CNSS) que l’on peut (…) répondre» à la situation présente. Le mécanisme de recouvrement ? Selon l’article 34 de la loi n° 6/75 portant Code sécurité sociale, la CNSS jouit du privilège du Trésor public. Autrement dit, elle peut contraindre les débiteurs à payer soit en exerçant des poursuites par toutes voies d’exécution de droit commun, soit en lançant des avis à tiers détenteurs. Or, selon le directeur général sortant, l’Etat et de nombreuses entreprises cumulent une dette de 385 milliards, pénalités comprises. En faisant appliquer la loi, la CNSS recouvrerait au moins le principal. Sauf abus de pouvoir ou mauvaise foi, personne ne lui reprocherait d’engager une telle procédure.

Défaillances du gouvernement

Dans sa dernière interview, Patrick Ossi Okori a également parlé du fonctionnement. A en croire ses dires, la CNSS a un budget de 140 milliards pour une masse salariale de 19,2 milliards, représentant 41% des frais de fonctionnement. Quant au personnel, il compte 1976 agents. Au nombre de ceux-ci, 3% de spécialistes de la sécurité sociale. Deux petits calculs permettent d’arriver aux conclusions suivantes : les frais de gestion s’élèvent à 46,82 milliards soit 33,5% du budget annuel ; les professionnels du secteur sont au nombre de 60, le reste étant constitué par diverses expertises. Le gouvernement aura beau les éluder, ces chiffres ne correspondent pas aux ratios prudentiels et de performance définis par la Conférence interafricaine de la prévoyance sociale (Cipres). Il aura beau ne pas les commenter, ils en disent long sur sa responsabilité. Après tout, le ministre de tutelle est «représenté aux réunions du Conseil d’administration» par un commissaire du gouvernement, «obligatoirement entendu dans ses observations (…) sur chacune des questions figurant à l’ordre du jour

S’efforçant de noyer le débat sur ses défaillances, le gouvernement a annoncé la création d’un «Comité de surveillance et de contrôle». Pourtant, en novembre 1975, le Code de la sécurité sociale lui avait reconnu un pouvoir de censure. En février 2017, le Code de protection sociale lui avait offert le droit d’édicter «des directives périodiques de régulation», lui octroyant même la possibilité d’assurer le «contrôle de l’exécution des missions assignées» à la CNSS. Pourquoi aurait-il besoin d’un nouvel organe de contrôle ? Pourquoi doit-il mettre sur pied une administration provisoire ? N’est-ce pas l’aveu de son incapacité à s’acquitter de ses tâches ? N’est-ce pas symptomatique d’un exécutif ballotté aux quatre vents ? Sans entrer dans le débat sur la légalité de l’administration provisoire ou de la dissolution de la direction générale, tout cela n’est ni rassurant ni engageant.