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Groupe de support psychologique : «On fait ce métier quand on aime la vie et les gens»

Patrick Friedgen, chef de groupe. Photo : fabrizio pizzolante

Accident de la route ou du travail, suicide… Après une annonce tragique, un soutien psychologique immédiat peut éviter bien des traumatismes. Depuis 25 ans, cette prise en charge est assurée par le Groupe de support psychologique du CGDIS.

Ils préfèrent généralement rester discrets tant les enjeux de leurs interventions sont importants. Mais à l’occasion de cet anniversaire exceptionnel, des membres ont accepté de se dévoiler un peu : le Groupe de support psychologique (GSP) du Corps grand-ducal d’incendie et de secours (CGDIS) fête en effet cette année ses 25 ans.

Un quart de siècle qu’une armée de 90 bénévoles environ se tient prête à intervenir peu importe l’heure ou le jour de l’année pour apporter un support psychologique et une prise en charge à des personnes impliquées ou témoins d’un événement tragique, ou à des proches d’une victime.

Accident de la route, du travail, suicide, meurtre parfois, découverte d’un corps, mais aussi événements majeurs comme la prise en otage de la crèche de Wasserbillig en 2000 ou le tsunami en 2004 : les bénévoles sont susceptibles d’intervenir partout où se trouvent des citoyens du Luxembourg et où la nécessité d’une prise en charge psychologique rapide se fait sentir, afin d’éviter autant que possible tout traumatisme futur.

« Nous proposons une écoute active et bienveillante »

«À l’annonce d’un décès, les proches perdent leur sécurité interne. Notre travail consiste à rétablir cette sécurité», résume Patrick Friedgen, chef de groupe du GSP. «Avant tout, nous leur proposons une écoute active et bienveillante. On explique aussi que les réactions, quelles qu’elles soient, sont normales. C’est l’événement qui ne l’est pas, qui sort de l’ordinaire. Ce qui est important aussi, c’est que la personne retrouve ses moyens, qu’elle se restabilise. Je peux lui demander un verre d’eau par exemple parce qu’inconsciemment, elle peut penser ne plus rien savoir faire. On lui prouve alors le contraire.»

«On laisse aussi les gens passer eux-mêmes les appels nécessaires pour qu’ils prennent conscience que ce qui s’est passé n’est pas fictif, qu’ils reprennent les choses en main et réalisent qu’eux existent toujours», complète Roby Fehlen, chef de section.

4 961

Entre 1997 et 2021, le GSP a effectué 4 961 interventions, auprès de 6 450 personnes. Entre 2000 et 2021, ce sont pas moins de 183 960 heures de permanence qui ont été assurées, 24 h/24, 365 jours par an.

Source : GSP

Effroi, sidération, horreur… La palette des émotions traversées à l’annonce d’un décès est variée, mais le déni est la plupart du temps la première réaction observée. «Souvent, les gens refusent d’y croire et prennent leur téléphone pour appeler la personne en question», témoigne Patrick Friedgen. Parfois, le déni est dû à des éléments rationnels : la personne n’était véritablement pas censée se trouver là où est survenu l’accident.

Les équipes du GSP accompagnent donc aussi la famille à la morgue pour voir le corps, lorsque cela est possible. Une étape souvent indispensable pour pouvoir commencer à faire son deuil. «Si la famille demande des détails sur les circonstances, on reste très factuels et on ne parle que des éléments avérés par la police», souligne Roby Fehlen.

Droit de retrait

En moyenne, le GSP effectue entre 200 et 280 interventions chaque année, des interventions qui durent généralement entre trois et quatre heures chacune. Le GSP apporte aussi un soutien aux secouristes eux-mêmes (voir encadré). Avec tant d’interventions et dans un pays de la taille du Luxembourg, plus qu’ailleurs peut-être, les bénévoles prennent le risque d’intervenir auprès de personnes qu’ils connaissent.

«Dans ce cas, on peut exercer un droit de retrait bien sûr», fait savoir Patrick Friedgen qui ajoute : «De même, il se peut que nous recroisions des personnes auprès desquelles nous sommes intervenus par le passé. Si elles ne nous reconnaissent pas, nous ne disons pas qui nous sommes, et sinon, on les prévient que nous nous trouvons dans un contexte différent et que nous ne parlerons pas de ce qui s’est passé. Car la plaie peut se rouvrir et cela peut être extrêmement dommageable». Les bénévoles ne doivent d’ailleurs jamais rester en contact avec les personnes aidées et trouver le subtil équilibre entre empathie et prise de distance pendant l’intervention.

Une formation longue et exigeante

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’équipe de bénévoles n’est pas composée de psychologues ou de travailleurs sociaux : ses membres viennent d’horizons très divers, à l’instar de Patrick Friedgen, ingénieur de formation qui occupe aujourd’hui un poste à responsabilités dans une société qui gère des énergies, ou de Roby Fehlen, retraité de la finance.

«Le plus souvent, on consulte un psychologue comme on consulte un médecin, c’est-à-dire quand on est malade. Or nous, nous voyons les gens dans l’urgence : nous avons donc en principe affaire à des gens qui ont eu un choc émotionnel, qui ont des réactions inconnues et sont bouleversés, mais qui ne sont pas malades. La maladie peut se développer à la suite de ce choc. Ce sont des méthodes différentes», souligne Patrick Friedgen. «D’ailleurs, l’événement n’est pas systématiquement traumatisant, il l’est potentiellement», précise-t-il.

La formation des bénévoles du GSP n’en demeure pas moins exigeante : elle s’étale sur deux ans et est validée par un examen et divers entretiens. Les informations dispensées sont vastes, à l’image du panel de situations auxquelles les bénévoles seront amenés à faire face durant leur carrière au sein du GSP : la psychologie est abordée bien sûr, mais aussi les questions religieuses et culturelles, afin d’éviter les impairs et de ne pas offenser les personnes dans leurs rites.

Donner des conseils sur le plan émotionnel et pratique

Sans oublier les aspects légal et administratif : beaucoup de familles ou certains patrons ne connaissent pas les démarches à effectuer lorsqu’un décès survient. «On doit donner des conseils tant sur le plan émotionnel que sur le plan pratique», rappelle Roby Fehlen.

Une formation intense et la confrontation inévitable à des situations éprouvantes font que sur la centaine de participants à la première réunion d’information de recrutement, le GSP n’accueille au final qu’une dizaine de nouveaux bénévoles après chaque session, tous les deux ans.

«La plupart des gens ne pensent pas très souvent à leur propre mort. Par contre nous, au GSP, nous y sommes confrontés à chaque fois que nous intervenons. Cela nous rappelle constamment que notre passage sur Terre est éphémère. Il faut donc avoir fait la paix avec son propre décès pour s’engager», commente Patrick Friedgen.

Des bénévoles très encadrés

La confrontation récurrente à des situations dramatiques nécessite évidemment un encadrement. Ainsi, les chefs de section sont toujours joignables par les équipes envoyées sur le terrain. En outre, tous les bénévoles du GSP sont tenus de suivre trois supervisions par an, dirigées par des experts externes.

«Si un bénévole ne peut pas y assister, nous organisons une supervision de rattrapage. Mais s’il n’y participe pas non plus, il est radié de notre liste des permanences jusqu’à ce qu’il ait suivi sa supervision. La santé de nos collaborateurs est vitale pour eux-mêmes et pour bien remplir leurs missions auprès de personnes fragilisées», explique Patrick Friedgen.

Roby Fehlen, chef de section. Photo : fabrizio pizzolante

Et puis il y a les rituels de chacun pour décompresser et couper avec ce qui vient d’être vécu : la musique en voiture pour Roby Fehlen, des techniques de relaxation pour Patrick Friedgen. «Lorsque vous intervenez, vous laissez un morceau de vous-même et la famille va vous donner un morceau de sa vie. C’est éprouvant, mais c’est aussi ce donnant-donnant qui est enrichissant», précise ce dernier.

«Le contact avec les gens et le travail en équipe, c’est ce qui me motive», souligne Roby Fehlen, membre du GSP depuis 25 ans et qui ne compte pas raccrocher de sitôt. «C’est un métier qu’on fait quand on aime la vie et les gens.»

Au secours des secouristes

Le but initial du GSP (et qu’il poursuit toujours) était d’apporter un soutien aux secouristes, tous volontaires au Grand-Duché avant la création du CGDIS (exception faite de l’aéroport et de la Ville de Luxembourg, déjà dotés de pompiers professionnels).

Le GSP continue donc aussi d’intervenir auprès des secouristes du CGDIS, des policiers, du personnel des pompes funèbres, c’est-à-dire auprès de personnes exposées à des images susceptibles de provoquer des chocs émotionnels. «Même s’ils sont souvent confrontés à ces images, ces professionnels demeurent des êtres humains. On ne s’habitue jamais à ce qu’on voit, car on ne peut pas sortir du fonctionnement de l’être humain et certaines images peuvent rappeler une histoire de vie», insiste vigoureusement Patrick Friedgen. «Les formations aident à mettre en place des protections, mais il n’y a pas de protection parfaite et absolue.»

La prise en charge par le GSP de ces personnes peut se faire de manière individuelle ou en groupe, ce qui implique alors forcément des techniques différentes. «On va leur demander ce qu’il s’est passé juste avant l’accident pour les ancrer dans un moment précis, là où ils étaient en sécurité, pour ensuite les amener sur les premières pensées et émotions ressenties. Cela leur permet aussi de prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls à avoir vécu cet événement», illustre le chef de groupe. «On voit aussi avec eux les pièges à éviter, comme la prise de stupéfiants ou le sport à outrance, pour déterminer les choses qui leur font vraiment du bien et vers lesquelles se tourner.»