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Battons-nous pour Wikipedia

Si vous tapez "scientologie" sur Google, seules deux suggestions apparaissent dans un premier écran pour poursuivre vos recherches. La première renseigne le site de Wikipedia, la seconde renvoie vers celui de… l’"Église" de la Scientologie !

Les informations ne sont évidemment pas les mêmes. Pour le premier site, la scientologie est "un des nouveaux mouvements religieux les plus controversés qui soient apparus au XXe siècle". Pour le second, c'est "une religion qui fournit un chemin précis menant à une compréhension totale et certaine de sa vraie nature".

Imaginez une seconde que Wikipedia n’existe pas. Le site de la secte apparaîtrait dès lors en haut de l’écran. La première recommandation de Google renverrait l’internaute vers une organisation dangereuse, condamnée plusieurs fois pour extorsion de fonds et pratique illégale de la médecine !

Pourquoi le site de la scientologie est-il si bien référencé ? Les dirigeants de Google seraient-ils des adeptes de la secte et profitent de leur puissance pour faire du prosélytisme ? Voilà qui devrait certainement plaire aux complotistes…

Mais il ne faut pas chercher si loin, le site de la scientologie est bien référencé tout simplement pour augmenter le profit de Google.

Défier les règles

Il est établi que la majorité des recherches sur Google, quel que soit le sujet, sont le fait de personnes qui ont un a priori favorable pour ce sujet. Celle qui tape "alpinisme" est a priori attirée par l’escalade, celui qui tape "coq au vin" est a priori acquis à l’idée d’en préparer un.

Et il en va de même avec la scientologie. La personne qui tape ce mot dans le moteur de recherche est statistiquement plus demandeuse d’en lire du bien que du mal. Le classement des suggestions en tiendra compte pour augmenter les chances de plaire à l’internaute, et garder ainsi son attention.

Bon, mais heureusement Wikipedia est là ! Fondée en 2001, l’encyclopédie en ligne à laquelle tout le monde collabore tout le temps est entrée dans la cour des grands sites en défiant toutes les règles de la Silicon Valley. Wikipedia, c’est le miracle d’Internet. La Fondation qui gère le site n’a en effet pas d’actionnaires et ne cherche pas le profit, elle n’a pas créé de milliardaires et n’emploie que 500 salariés, elle est totalement transparente sur ses chiffres et - comble de tout - est gérée par des humains et pas par des algorithmes ! Seuls quelques robots aident les volontaires pour détecter les fautes d’orthographe, les gros mots et autres formes de vandalisme.

Imaginez une seconde Wikipedia organisé comme les autres, vous recevriez alors des messages du genre "vous avez aimé le théorème de Pythagore, vous allez adorer celui de Fermat". Imaginez Wikipedia sponsorisé par les géants de l’industrie pharmaceutique ou contrôlé par le fantasque Elon Musk… Imaginez qu’on puisse "liker" la théorie d’Einstein ! Imaginez qu’après avoir consulté l’article "romantisme", vous receviez une publicité pour un site de rencontres…

Une tension permanente

S’il ne respecte pas les codes de l’Internet, Wikipedia ne respecte pas non plus ceux des médias traditionnels. Il n’y a pas de rédacteur en chef, les articles sont écrits et modifiés par tout le monde, et ne sont donc jamais terminés ! Une bibliothèque peut être rangée, Wikipédia non. Quiconque peut même le déranger quand cela l’arrange.

Le système fonctionne car la communauté produit à la fois du contenu et des règles, même si l’un et l’autre sont modifiés en permanence. La communauté est en tension. Outre les débats qu’on peut imaginer sur le modèle d’affaires, sur les rémunérations, sur les partenariats. Il y a les inclusionnistes, qui veulent toujours plus d’articles, et les "exclusionnistes", qui voient cette ouverture comme une contradiction des principes de l’encyclopédisme. Il y a ceux qui acceptent l’anonymat ou les pseudonymes, ceux qui pensent que plus d’algorithmes amènerait plus de rigueur, ceux qui considèrent que ce n’est pas sain d’avoir un monopole de fait, etc.

Un laboratoire du savoir

Wikipedia est devenu indispensable à tous les chercheurs, et le site est devenu lui-même un objet de recherche. Comme il marche en pratique mais pas en théorie, il suscite un grand intérêt académique. On le radiographie, on le scanne en 3D, on évalue sa fiabilité. Ce qui peut faire sourire car, de manière régulière, le site rappelle ne pas être une source fiable !

Et tout le monde s’y met. Le sociologue y analyse la place des femmes ou des minorités, la statisticienne teste ses hypothèses, le psychologue scrute les biais cognitifs des utilisateurs, les linguistes étudient l’évolution du vocabulaire au fil des années.

Même les philosophes peuvent y faire des expériences. Demandez à Wikipedia de définir un mot de la vie de tous les jours, et cliquez systématiquement sur le premier lien proposé. Vous verrez, très vite, par le jeu des catégories, on arrive à un concept fondamental. J’ai pris au hasard "maison" et j’ai eu successivement "bâtiment" "immobilier" et… "bien" ! En quatre étapes, Wikipedia m’a envoyé chez Platon…

Wikipedia est le pays rêvé des chercheurs car ils peuvent disposer gratuitement de toutes les données. Tout est vérifiable, reproductible. Sur www.contropedia.net on peut même visualiser en direct les polémiques. L'article "Tulipe" est plutôt calme, l'article "Palestine" par contre est beaucoup plus agité…

Wikipedia est un ovni, un objet volatil numérique identifié, qui ne vit que de dons, et est pourtant au centre de la galaxie Internet. Les robots de Apple ou Amazon l’utilisent pour répondre aux questions qu’on leur pose et, parmi les donateurs, on trouve… Google !

Malgré tous ses défauts, Wikipedia est la plus belle histoire de l’Internet. Battons-nous pour qu’elle le reste.

Titre de la rédaction. Titre original : "Wikipedia, la plus belle histoire de l’Internet".