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Le coût des crèches entrave l’accès des femmes britanniques au marché du travail

Rebecca Hall parle à voix basse. Dans la pièce mitoyenne, Noah, son troisième enfant, âgé de huit mois, vient enfin de s'endormir. Alors que la fin de son congé maternité approche, cette médecin généraliste de 37 ans a décidé de réduire drastiquement son rythme de travail. Finies les quatre journées hebdomadaires de douze heures. Elle se limitera désormais à une journée pleine, complétée par plusieurs soirées de 20h à 22h, "une fois les enfants couchés". Elle l'assure : "Avoir un emploi de médecin généraliste salarié n'est pas tenable pour une mère avec de jeunes enfants au Royaume-Uni." En cause : le système de garde d'enfants.

"L'aspect financier s'avère difficilement supportable : nous payons chaque mois 3 800 livres sterling (4 320 euros) pour la crèche de nos deux enfants", indique-t-elle. "Chaque semaine, je me retrouve donc en poche avec seulement 100 livres (113 euros). Que j'aille travailler n'est pas intéressant pour nos finances, d'autant que cela perturbe le travail de mon compagnon, avocat, qui doit emmener les enfants à l'école et les récupérer lorsque je suis de garde."

Toutes les crèches ne sont pas aussi coûteuses que dans la capitale anglaise, où certaines crèches privées réclament jusqu'à 2 615 livres (2 970 euros) par mois par enfant de moins de deux ans. Mais la moyenne des tarifs au Royaume-Uni s'élève tout de même à 1 143 livres (1 308 euros), soit 44 % du salaire mensuel médian par foyer. "Les crèches privées ont proliféré ces dernières années", estime Kitty Stewart, professeur de sociologie à la London School of Economics, bien souvent aux dépens de crèches publiques qui se raréfient en raison des difficultés budgétaires des municipalités. "Elles sont indirectement subventionnées grâce aux aides attribuées aux parents mais disposent d'une liberté totale en matière tarifaire."

Le couple sacrifie celui dont le salaire est le plus faible

Ces tarifs exorbitants perturbent l'accès au travail des Britanniques incapables de bénéficier de l'aide de proches. "Le système ne soutient pas assez financièrement les parents et il n'offre pas non plus assez d'heures gratuites à ceux qui n'ont pas les moyens de payer les 100 livres demandées pour chaque jour de crèche", indique Claire Harding, directrice de la recherche au centre de réflexion Center for London et spécialiste du sujet. Les foyers les plus pauvres peuvent bénéficier du remboursement de 85 % du coût de leur garderie, plafonné à 1 108 livres (1 260 euros) pour deux enfants, et de onze heures gratuites par semaine pour les enfants de deux ans. Les autres parents reçoivent une subvention de l'État de 500 livres (570 euros) par trimestre et de 21 heures hebdomadaires gratuites pour les enfants de trois à cinq ans.

Malgré ces aides, "plus le coût de la crèche est élevé dans une région, plus les femmes quittent le monde du travail après avoir eu un enfant", poursuit la chercheuse Claire Harding. Pourquoi les femmes ? Parce que le couple choisit souvent de sacrifier celui dont le salaire est le plus faible. Or, après un, voire deux congés maternité, la femme se trouve presque tout le temps dans cette situation. Au grand dam de Rebecca Hall, notre médecin généraliste. "J'étais ambitieuse, je suivais de nombreuses formations, notamment sur les infections sexuelles, et je commençais à obtenir des postes intéressants", témoigne-t-elle. "Tout cela est terminé. Et même lorsque je pourrai travailler plus, j'aurai perdu une grande partie de mes connaissances cliniques et théoriques acquises au cours des dernières années."

Un sujet de préoccupation pour le gouvernement

Ces derniers mois, le coût de la garde d’enfants est devenu un sujet majeur de réflexion des dirigeants politiques. La conjoncture y joue pour beaucoup. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, 857 000 travailleurs ont quitté le monde du travail et ne veulent pas y revenir, selon le Bureau national des statistiques. À cause du Brexit, les entreprises peuvent plus difficilement leur trouver des remplaçants en Europe. L’agriculture, l’hôtellerie-restauration et l’ensemble des services, pour la plupart des emplois durs physiquement et mal rémunérés, sont principalement affectés.

Le système de santé public (NHS) ne s’est quant à lui pas remis des efforts requis par la pandémie. Fin septembre, 463 930 patients, soit 29,8 % d’entre eux, attendaient depuis plus de six semaines d’être auscultés à l’hôpital après l’envoi d’une requête par leur médecin traitant, contre seulement 23 934 en février 2020. Et la demande de personnel est élevée. Déterminé à résoudre par tous les moyens ce manque de main d’œuvre, qui affecte l’activité économique du pays et donc les finances publiques, le gouvernement assure vouloir réformer le système de crèche pour favoriser le retour des femmes dans le monde du travail.

Mais celles-ci le veulent-elles véritablement ? "Seules 30 % des mères d'un enfant âgé de 1 à 4 ans ne travaillent pas", souligne Christine Farquharson, économiste à l'Institute For Fiscal Studies, un centre de réflexion, et auteure de rapports sur la garde d'enfants.

Cette statistique est à observer avec du recul : les femmes de 24 à 38 ans ayant un enfant travaillent environ 30 % d'heures en moins que les femmes du même âge sans enfant, selon les données officielles. "Notre enquête révèle que la moitié d'entre elles voudraient retrouver un emploi si le système de garde d'enfants était fortement amélioré." Concrètement, cela signifie que 300 000 femmes chercheraient à réintégrer le monde du travail et que plus d'un million pourraient travailler plus. De quoi combler en grande partie le casse-tête actuel.