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Longtemps spectatrice de la guerre en Ukraine, l’Europe sera-t-elle enfin actrice de la paix?

Une opinion d'Eric Monami

Après sept mois de guerre en Ukraine, on commence à parler d'un possible renversement de situation sur le terrain des opérations. Le déséquilibre des forces en défaveur de l'armée ukrainienne régulière ayant jusqu'ici bloqué toute perspective de désescalade avec l'envahisseur russe, on se prend à espérer un retour prochain à la table de négociation. Le moment est donc venu de se poser cette question : après avoir été pendant dix ans spectatrice de la guerre et de ses prémices, l'Europe des 27 sera-t-elle enfin actrice de la paix ?

Pas de diplomatie possible cependant, sans mise en perspective. La mienne remonte à l’année académique 1991-1992. Profitant d’un mémoire de fin d’études sur « l’Ukraine à l’heure des réformes économiques », je passe plusieurs séjours sur place à une époque où, en dehors de Kiev, les visiteurs occidentaux sont plutôt rares. Au menu de ces voyages, des dizaines de rencontres et d’interviews, une euphorie indescriptible à l’idée de vivre la fin de la guerre froide « des deux côtés du rideau » et de longues veillées à rêver d’une Europe réunifiée avec des étudiants et jeunes chercheurs avides d’ouverture, de liberté et de paix.

Et donc déjà, lors de ces rencontres, la question récurrente du destin européen de l’Ukraine. Le constat également, d’un pays profondément pluriel, habité par de multiples nationalités, d’un territoire riche d’une diversité de langues et de cultures exceptionnelle, diversité alors parfaitement assumée et dénuée de la moindre crispation ou animosité. Et bien sûr, comme chez nous en Belgique, des tas de couples mixtes, « sans histoires ». Mais justement, avant de parler d’intégration européenne, l’Ukraine ne devrait-elle pas d’abord, elle aussi, construire son propre modèle fédéral ?

Quelques années plus tard, nous suivons au jour le jour dans les médias états-uniens et européens, l’amputation par la force d’une province serbe majoritairement peuplée d’albanais indépendantistes. Je constate au passage qu’alors que les leaders européens prétendent pilonner Belgrade pour l’obliger à octroyer davantage d’autonomie à sa province du Kosovo, les américains, eux, semblent d’emblée bien décidés à dépecer purement et simplement la « dernière dictature d’Europe ». Sans surprise, l’affaire est effectivement pliée en quelques semaines d’intenses bombardements. Il faut dire que c’est le temps des premières « frappes chirurgicales » (forcément, puisqu’elles viennent de notre camp) et le triomphe de quelque « spin doctor » de sinistre mémoire, au service d’une propagande de guerre déjà parfaitement rôdée.

Ma seule consolation à l’époque, devant une violation aussi flagrante du droit international, est de me dire que si l’occident a trouvé juste et bon d’ainsi faire parler la poudre pour une province séparatiste des Balkans, il s’en souviendra sûrement, si d’aventure un jour, certains oblasts ukrainiens se prennent à revendiquer les mêmes libertés. Ce qui ne manque évidemment pas d’arriver en 2014, à l’issue du coup d’état de la Place Maïdan. Bien des russes d’Ukraine, surtout en Crimée et dans le Donbass, ne se reconnaissent pas dans ce virage à l’Ouest et dans l’adoption soudaine de lois linguistiques restrictives, et ils le font savoir en exigeant plus d’autonomie, voire leur indépendance.

Depuis lors, il n’est plus un secret pour personne que, tandis que les allemands se connectent à un second gazoduc russe, contre l’avis des américains, et que des multinationales françaises investissent avec succès dans l’économie russe, d’autres au sein de l’OTAN préparent l’armée ukrainienne à affronter, dans l’Est et dans le Sud du pays, ses propres ressortissants prorusses et leur protecteur tout aussi peu désintéressé.

La suite est connue. En février dernier, l’Europe doit voler, avec ses habituels alliés, au secours d’une Ukraine envahie par son puissant voisin. Comment aurait-elle d’ailleurs pu faire autrement ? Était-il même nécessaire, pour intervenir, d’invoquer nos valeurs de liberté et la défense de la démocratie face aux autoritarismes (russe aujourd’hui, chinois demain ?) ? Je ne le pense pas. Mais fallait-il pour autant le faire à coup de milliards d’euros en armements divers, sans jamais essayer en contrepartie, de prendre part diplomatiquement au règlement de ce conflit, sans chercher le moins du monde à avoir son mot à dire sur l’issue de cette guerre qui n’aurait pas dû être ?

Et maintenant ? S’étant montrée naguère si peu à la hauteur dans le parrainage des Accords de Minsk, et si naïve dans son appréciation géostratégique des sombres desseins des impérialistes de tous bords, notre Europe transformée en champ de bataille économique, se souciera-t-elle enfin sérieusement de la protection des minorités ethniques et linguistiques dans une Ukraine restaurée dans des frontières internationalement reconnaissables et dans ses éventuels satellites?